9.7. Le phénomène Banksy

street art, graffiti, graffeur, pochoir,
Ceci n'est pas un Banksy...
Graffiti à Sètes (France).


Chez Banksy, l'art réside clairement en premier lieu dans sa communication. Courez, petits agneaux, courez! Mieux que la chasse aux œufs et aux lapins de Pâques! Vite, Bisounours, photographiez, filmez, avant que les méchants tagueurs ne viennent tout gâcher! Goûtez ce délicieux retour au scoutisme de votre adolescence, participez à ce jeu de piste organisé gratuitement, avec d'un côté le gentil et bon artiste 'dénonciateur' qu'il faut protéger et de l'autre les méchants monstres incultes qui ne savent pas apprécier l'art et le génie de Banksy. Mieux, retournez carrément en enfance et traquez du Banksy comme on va à la chasse aux Pokémons. C'est tellement plus gai que de jouer au loto!

Banksy l'élitiste-sans-en-avoir-l'air, Banksy qui interpelle (la foule, les politiciens, le système, on ne sait pas trop qui ou quoi mais c'est un terme très tendance), Banksy et la juteuse spéculation organisée par ce monde de la finance 'dénoncé', mais complice de l'artiste, Banksy contre tous les autres graffeurs. Banksy schizophrène qui jongle entre un anonymat plus que relatif et un culte du nom digne des années staliniennes, Banksy dont on nous matraque les exploits à longueur de journée. Des Banksy 'apparaissent' à Paris tel des apparitions miraculeuses de la Sainte Vierge, on les 'découvre' comme on découvrirait le tombeau du Roi Arthur avec le Saint Graal en prime. Banksy c'est le gentil Tintin (bien blanc et pur comme il faut) contre Rastapopoulos (nom d'un horrible grec en qui on ne peut absolument pas avoir confiance, on parle d'ailleurs de mœurs grecs). Le 'mystérieux' et lisse Banksy  pourrait tout aussi bien être plusieurs, par exemple une équipe payée par Goldman Sachs pour saper les dernières velléités de contestation des graffeurs indépendants et réellement anonymes. Mais là je tombe dans le piège du complotisme, à qui la faute, mystère, mystère...

Vous avez dit mystère? On ne sait pas qui est Banksy, on sait juste qu'il peut se permettre de revendiquer des œuvres sans être poursuivi au contraire des autres graffeurs libres et sauvages, et sans que ses revendications ne puissent être contestées. Car Banksy est le génie absolu pour qui l'ignorerait encore. Suscitez du Banksy bien contrôlé, et on ne parlera plus les autres qui, après tout, pourraient tout aussi bien avoir leur mot à dire et des messages à transmettre. Banksy est l'Unique dont l'oeuvre sera tellement visible, qu'on en perdra même la notion de Street-Art. Le Street-Art dérange? Vidons-le de toute signification, et assassinons-le ensuite. Banksy, c'est l'arbre en plastique qu'on fait grandir à coup de communications et de publicité pour cacher la forêt d'arbres vivants. Banksy, c'est la dictature d'une pensée unique et lancinante, c'est la visibilité totalitaire d'un seul héros au détriment de la démocratie et de la liberté revendiquée par les autres graffeurs. Décidément, nous aurons toujours besoin de super-héros. Banksy est le redresseur de torts, Banksy est plus fort que Superman, Spider-Man, Zorro et tous les autres réunis.

Ah, ma bonne dame, Banksy c'est des perles jetées aux cochons, il serait tellement mieux en galerie! Ne craignez rien, derrière les dénonciations qui ne mangent pas de pain (je voudrais voir des Banksy en Iran, en Syrie, en Libye, en Arabie Saoudite, au Yémen, chiche, je lance le défi) il y a toute une organisation bien huilée et solidement financée. Les dénonciations ont ceci de politiquement correct que Banksy s'attaque aux conséquences du capitalisme sauvage, et non aux causes. Tout le monde peut continuer à dormir tranquille, passez votre chemin et rigolez, il n'y a rien d'autre à voir que des charmants Banksy.

On créera l'hystérie (on aime cela, on appelle cela créer le bug), on arrachera les Banksy des murs de la rue, on les sauvera de la barbarie du bas peuple tel les temples d'Abou Simbel des eaux. Oui vous les collectionneurs compulsifs et fétichistes, vous aimez mettre les choses en cage et en vitrine, bien contrôlées par des cotes sans cesse montantes. Car mettre des graffitis en galerie ou dans un musée, c'est comme enfermer des animaux libres en cage, c'est de l'ordre du zoo, c'est franchement très minable. C'est pervertir le sens et le nom même du Street-Art.

Banksy c'est une autre forme de Disneyland, pour adultes, mais cela relève de la même logique. D'ailleurs Banksy a réalisé son propre Disneyland, et que cela s'appelle l'anti-Disneyland ne change rien à l'affaire, c'est d'aussi mauvais goût que Plopsaland, en pire, cela coûte très cher et les enfants ne peuvent même pas y jouer. On ne peut pas non plus y faire des graffitis, on ne peut pas y amener des bombes à peinture ou des marqueurs, tout cela est interdit. Seul Banksy fait des graffitis où il veut. Mais on 'jouera' avec des frissons dans le dos au migrant, puis on rentrera à la maison et on oubliera tout cela.

Banksy est un gentil passe-temps pour nouveaux riches pas trop cultivés, cela leur donne leur heure de bonne conscience et de gloire. Banksy présente ce délicieux cachet populaire puisque tout le monde ne doit pas entrer en galerie pour voir ses graffitis réalisés au pochoir, mais il est à l'opposé du peuple. Banksy est une excellente occasion de s'encanailler à peu de frais. Un magnifique contre-feu afin de banaliser l'horreur de la spéculation bancaire, afin de la rendre plus présentable et de la réduire à une bonne blague qui fait sourire. On achètera cher et vilain des Banksy grâce à l'argent venant des algorithmes anonymes de Wall Street, et on recyclera cet argent dans la machine à laver de l'art interpellateur pseudo-contestataire. La contestation est l'alibi par excellence, la lessive qui lave plus blanc que blanc, le décor qui cache la réalité. Banksy on le montrera dans ses salons pour prouver qu'on est sensible aux ravages provoqués par le monde bancaire et en même temps on spéculera sur lui avec sa complicité active. Banksy c'est banco coup double.

Mais une occupation de l'espace public se fait au risque du vandalisme (expliquer au public pourquoi untel est un vandale et untel pas, montrer une copie de l'urinoir de Duchamp c'est bien mais pisser dedans à Beaubourg vaut le cachot parisien et la réprobation de toute la presse culturelle française). Ici encore, je souffre du syndrome du 'complotisme', j'imagine même le team Banksy payer ses propres vandales pour se faire de la publicité. Anonymat et vandalisme font partie des mamelles de l'artiste contemporain mondain, l'artiste génial et incompris qui se cache (ou pas) derrière ses œuvres et est martyrisé par des ignorants rétrogrades.

Soyons un instant sérieux. Le Street art a sa loi, celle de la jungle... Ne pas accepter cette loi, c'est nous vendre à coup de communications et de publicité tapageuse un produit frelaté au genre incertain. En reste un côté poétique indéniable genre image d'Épinal relooké graffiti; en reste un coté humoristique jouissif, et d'abord celui de faire courir les foules derrière une chimère!



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