10.17. ‘Carnet de voyage’ ou ‘Récit de voyage’ ?


Archives, 07/12/2009


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Le carnet de voyage.



Les plus perspicaces d'entre vous ont remarqué que j'ai remplacé dans des titres le mot « carnet » par « récit ». Au cours de la publication de ces notes, j'ai reçu plusieurs mails et je me suis rendu compte que le titre « carnet de voyage » prêtait à confusion. Pour moi avant le « carnet de voyage » idéal était un journal que l'on construisait en cours de voyage. La règle de base y était la spontanéité et l'instantanéité. Ce sont deux qualités bien réelles mais la mode actuelle les érige en vertus les plus hautes. Cela s'explique aisément car aujourd'hui tout doit aller vite. C'est pour les mêmes raisons que l'art actuel préfère les esquisses et les ébauches au travail fini, et les intentions et leur publication par textes aux esquisses et ébauches.


Des carnets exotiques mais superficiels.


La mode des carnets de voyage fait fureur comme celle des esquisses. Toutefois quand je regarde les carnets de voyages édités en livre, je suis huit fois sur dix très déçu. Je suis d'abord attiré par le côté très coloré, exotique et spontané du carnet. J'en ai parfois même acheté. Mais ensuite je suis frustré car ce qui est montré et décrit est très superficiel. La relation du voyage, souvent nombriliste, ne nous apprend presque rien sur les peuples visités ou alors de manière trop anecdotique. C'est devenu des approches éphémères de touristes papillonnant à gauche et à droite. C'est au mieux à voir comme un livre de belles images, au pire comme un indigeste fourre-tout où on colle n'importe quoi du moment que cela vienne du lieu visité et que cela soit fait sur place.


Les carnets retravaillés ensuite: ce sont les plus précieux.


Les exceptions à cette superficialité proviennent souvent de carnets qui ont été retravaillés après. Parmi ceux que j'ai gardés précieusement, il y en a trois qui sont réalisés en regroupant des extraits de journaux de voyage écrits par un collectif de jeunes partis sur un voilier et faisant des escales pour vivre et travailler parmi les habitants. Photos, dessins, récits sont exécutés par chacun de ces jeunes et leurs accompagnateurs. Les documents sont ensuite triés et assemblés pour composer un ensemble cohérent qui forme la chronique de voyage finale. On se retrouve devant un compte-rendu riche et original qui relate l'expérience et le vécu de chacun, qui tient compte de chaque idée et de chaque vision à travers images et textes. La spontanéité est préservée, profondeur en plus ! Je remets donc actuellement en question le snobisme fétichiste qui exige qu'un carnet de voyage soit rédigé uniquement sur place.


Carnets de voyages réalisés au bazooka. 



A l'opposé du collectif, vous avez ce foisonnement de reporters improvisés qui programment leur voyage guide du routard à la main, et réalisent leur « carnet de voyage » au bazooka pour l'éditer au plus vite et financer ainsi le périple suivant. Cela a peu d'intérêt. 


Le récit de voyage.



Dans mes voyages (toujours accompagné), les destinations sont prévues mais pas les arrêts ni même la route qui sera suivie. C'est au hasard que l'on doit un grand nombre de nos découvertes. Il est évident qu'en rentrant on a envie d'en savoir plus sur ce qu'on a découvert. Mais alors on entre dans le « récit de voyage », compte-rendu plus profond et plus élaboré. On abandonne le folklore du carnet de voyage. Un des fondements du carnet de voyage est l'esquisse. Pour moi, une esquisse n'est qu'un aide-mémoire quand elle ne se résume pas simplement à « faire des gammes » pour ne pas perdre la main. Si je veux expliquer une chose (mieux vaut un petit dessin qu'une grande explication, l'art conceptuel a oublié cela) je ferai un petit croquis si je m'adresse à une personne, un dessin si je m'adresse à plusieurs. Ce dessin a alors une simple valeur explicative, il ne prétend pas à plus.



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Ci-haut : quelques esquisses et dessins. © Eric Itschert.

Je reconnais qu'il y a des esquisses qui me fascinent parce qu'elles deviennent des graphismes à part entière, tels des hiéroglyphes, avec leurs codes. Mais alors je ne puis plus les considérer comme esquisses, mais bien comme des œuvres élaborées.


La confusion des genres. 



Rien ne m'amuse plus que les confusions à propos de certains peintres chinois. « Europalia China » est en cours à Bruxelles. On voit actuellement un reportage où un grand artiste chinois est invité. Des hôtes le regardent travailler et s'esbaudissent sur la spontanéité et la liberté de son travail à l'encre de chine sur papier. On le voit peindre des rochers. Le travail est en effet admirable et il ne permet aucun repentir. Mais que l'on mette ce culte de la spontanéité entre parenthèses: il ne s'agit en aucun cas d'un travail « libre » dans le sens occidental du terme, la notion d'abandon et de liberté y sont relatifs. C'est un travail extrêmement codé, maîtrisé, suivant des règles implacables totalement liées à celles de la calligraphie. L'apparente « spontanéité » n'existe que dans la maîtrise à l'intérieur de ce cadre très rigide où l'artiste ne peut se mouvoir aisément que grâce à ses années d'exercices et de pratique ! On remarquera d'ailleurs que les peintres qui ont essayé de s'affranchir de ces règles ne parviennent pas à produire des œuvres aussi fortes. J'ai une profonde admiration pour ces peintres calligraphes chinois, mais c'est en raison de leur maîtrise. Cela n'a rien à voir avec les barbouillages spontanés du petit dernier qui n'est-ce pas madame pourrait devenir un grand artiste plus tard ! 

Et ici l'on rejoint la peinture à l'huile, celle d'avant les impressionnistes, que les historiens opposent trop souvent à l'art traditionnel chinois sans vouloir se rendre compte de ce qui leur est en commun... On remarquera d'ailleurs que certains artistes chinois contemporains savent parfaitement maîtriser la technique de la peinture à l'huile. Ce qui est commun aux deux approches, c'est la discipline, l'exercice, la maîtrise, le travail... Ce qui les sépare, c'est la sobriété orientale par rapport au foisonnement occidental. 


Une esquisse travaillée perd en 'spontanéité' mais gagne en caractère...



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Dès qu'une esquisse devient un exercice de style élaboré, elle gagne en caractère ce qu'elle perd en « spontanéité ». Il en est de même pour les « carnets de voyages ». Quand à sur ce blog, il s'agit non pas d'un carnet de voyage mais plutôt d'un récit de voyage... J'espère ainsi mettre fin aux polémiques.





















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