Dieux des carrefours, dieux lares et maisons des esprits

Esprits locaux



INTRODUCTION



Avant de commencer la nouvelle version des « Histoires de faunes » je dois expliquer quelques concepts gallo-romains d’avant la christianisation de l’empire romain. Je ferai un parallèle avec des concepts analogues dans des contrées actuelles non conquises par les « religions du livre ».


Les petits dieux tels ceux des rivières, des étangs, des pierres … existaient en très grand nombre dans nos contrées encore du temps de la Gaule romaine. Parmi eux les dieux des carrefours. Les voyageurs leur versaient une goutte de cervoise, quelques grains en passant par le carrefour, afin de ne pas se perdre et de ne pas rencontrer des brigands ou des soldats. Un autre usage existait dans tout le monde romain, c’était celui des ‘dieux lares’ présents dans chaque maison qui se respectait.


Cet usage est mort avec le christianisme, en raison, je crois, d’un très grand malentendu. Ces « dieux » ont peu à voir avec l’idée de « Dieu ». On les appellerait aujourd’hui des esprits.


Aujourd’hui encore, en Thaïlande et au Laos, dès que l’on construit un bâtiment on construit une petite maison pour les esprits habitant les lieux, afin de se les concilier.


On peut vivre quelque-chose d’analogue au Japon, et il suffit de voir certains films de Hayao Miyazaki pour se baigner dans l’infinie poésie de la religion shintoïste.



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Statuettes de Lares, époque gallo-romaine, archéologie expérimentale,
Aubechies, Belgique.

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DIEUX DES CARREFOURS



Dans la Gaule romaine, l’empire romain essaye de trouver des concordances entre les dieux locaux et les dieux romains. A Rome le dieu des carrefours par excellence est le dieu Mercure, Hermès pour les grecs. Dans la mythologie grecque, Hermès est une divinité de l’Olympe. Messager des dieux, il est dispensateur de la chance, inventeur des poids et des mesures, gardien des routes et des carrefours, protecteur des voyageurs et du commerce. Il conduit les âmes dans le royaume des morts. Paradoxalement il est aussi le patron des voleurs.


En Gaule, on a parfois affaire à des déesses des carrefours. Appelées Biviae, Triviae ou Quadriviae, elles figurent sur des vases gallo-romains et assurent la tranquillité des routes. Elles peuvent être accompagnées d’un serpent.


Enfin il faut compter avec les dieux lares, eux aussi parfois postés à des carrefours.




DIEUX LARES



Il semble qu’une des origines du Lare était l’idée d’un esprit infernal. En effet, le mot lare est parent du mot larva, fantôme, spectre. Selon Festus (fin du deuxième siècle), aux fêtes Compitales, je cite, « on suspendait dans les carrefours des mannequins et des figures d’hommes et de femmes faits de laine, parce que, selon l’opinion commune, ce jour était consacré aux dieux infernaux, que l’on appelle Lares; on leur offrait autant de mannequins qu’il y avait de têtes d’esclaves, et autant de figures qu’il y avait d’individus libres, afin qu’ils épargnassent les vivants et se tinssent pour contents de ces mannequins et de ces simulacres ». (Source : an-uhelgoad).



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Le laraire de Rezé


Le laraire de Rezé en Loire atlantique est un bon exemple de laraire gardien de carrefour. Il date du deuxième siècle. C’est un oratoire semi-public. Des figurines de terre cuite moulée sont réunies dans une petite chapelle, une niche cintrée peinte en rouge. Ces figurines étaient vénérées par les habitants d’un quartier de Rezé. Il y a un chien de garde accompagnant un buste évoquant le culte impérial, deux autres statuettes plates, et un sanglier. Les statuettes plates représentent probablement des divinités gauloises cosmiques, elles marchent sur des étoiles et ont des astres dans les cheveux. Le sanglier (ou un porc ?) en calcaire peint en jaune (et non en terre cuite comme les autres figurines) symbolise la ténacité farouche et la prospérité.


Les figurines de dieux lares étaient produites en grande quantité, elles servaient aussi pour des laraires familiaux dans les maisons. Chaque famille honorait son Lare, divinité protectrice du domaine où résidait la famille. Le Lare était l’esprit du foyer, en tant que Lare familiaris. Les Lares recevaient des offrandes à des moments précis fixés par le calendrier.


Les Lares étaient souvent représentés sous la forme d’adolescents dansant, portant une patère et une corne à boire.


Il faut faire une distinction entre les Lares et les dieux Pénates : ces derniers sont aussi attachés au foyer, en particulier au feu de la cuisine. Mais on les invoque toujours collectivement, ils sont attachés à la famille et voyagent avec celle-ci, contrairement aux Lares attachés à un lieu, un sol. Parmi les Pénates se trouvent de grandes divinités, on peut citer la déesse Vesta. Vesta est déesse du foyer, elle ne possède aucun lieu de culte si ce n’est la flamme du foyer ou celle du sacrifice…

(Source principale: archéologie expérimentale, Aubechies, Belgique)




MAISONS DES ESPRITS




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Maisons des esprits, constructions vides, Pairi Daiza, Belgique.

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Le culte des esprits remonte aux sources de l’histoire des peuples indochinois et est toujours d’actualité. En Thaïlande et au Laos, ces esprits sont des génies, gardiens du sol, de la nature (champs et arbres remarquables) et des maisons. Ils protègent ces lieux des esprits malveillants et voyageurs. Les « seigneurs du lieu » tiennent les fantômes errants et malfaisants à distance. On leur offre quotidiennement, le matin, des offrandes, ainsi que des prières courtes. Les offrandes sont constituées de fleurs, de nourriture et d’encens.

On bâtit une petite maison pour ces esprits protecteurs. La maison miniature contient des figurines représentant les génies. Elle est placée devant un bâtiment, près de la porte principale, à la campagne devant une rizière, ou devant un arbre remarquable. On la met à hauteur du regard, sur un pilier. C’est ainsi qu’on fixe l’esprit du lieu qui protège les habitants.

La présence d’une maison des esprits est quasiment obligatoire pour toute construction, qu’elle soit privée ou publique.



LE GÉNIE



D’une manière générale, le culte du Génie incarne la puissance d’action d’un être. On retrouve l’idée de génies dans pratiquement toutes les civilisations. Si on en revient à la famille du temps gallo-romain, il s’agit du Génie (genius) du pater familias célébré le jour de son anniversaire. Vers le début de l’Empire, la maîtresse de maison est également honorée par le culte de Junon, équivalent du Génie masculin. Les Chrétiens, une fois devenus persécuteurs à leur tour et trahissant les sages préceptes de non-violence du Christ, ont tout fait pour remplacer les anniversaires de naissance par celui du saint auquel se réfère le prénom choisi pour l’enfant…



LE SOUVENIR DES ANCÊTRES



Pour résumer, chaque famille gallo-romaine possède ses propres divinités et esprits : Lares, Pénates et Génie. Mais cela ne s’arrête pas là. Il faut encore compter avec les ancêtres de la famille, ils veillent par-delà la mort sur le destin de la famille et donc on leur rend un culte. Généralement un endroit leur est réservé dans une chapelle domestique (le laraire) installée au sein de l’espace communautaire, que ce soit dans l’atrium ou dans le péristyle si la maison en a un. L’autel, fixe ou mobile, peut prendre toutes les formes, foyer, autel, récipient. Les offrandes sont constituées de monnaies, de fleurs, de nourriture, de boissons, ou encore d’ex-voto (l’ex-voto chrétien vient en droite ligne de l’Antiquité). Dans bien des régions d’Italie il y a encore un coin dans la maison de famille où l’on mélange des images de saints (ils remplacent les esprits) avec des portraits des ancêtres et disparus. Le jour de la Toussaint et le jour des morts, on allume des veilleuses. Comme dans l’antiquité les ancêtres et saints évoqués sont chargés de la protection de la maisonnée.


Le culte des ancêtres existe toujours en Extrême-Orient, par exemple au Japon et en Chine. En Chine il trouve même un renouveau avec la réhabilitation de Confucius. Rappelons que Confucius n’instaure pas de nouvelle religion, c’est un philosophe pratiquant le culte du Ciel et le culte des ancêtres mais récusant les superstitions du peuple de son époque…

Commentaires

  1. Merci pour ce partage très intéressant et instructif, j'ai apprécié.
    Je te souhaite une bonne journée

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    Réponses
    1. Merci chère Pascale! J'essaye de toujours bien me documenter avant d'écrire ce genre d'articles, et de recouper mes sources...

      Cordialement

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