A propos d’artistes de rue

DOUZE 

...et d’oiseaux dans le ciel 



Rue du Musée, Bruxelles
Rue du Musée, Bruxelles


On est le troisième jour après la Nuit Blanche, le mardi 4 octobre 2011 d’après l’ancien calendrier. Il est dix heures quarante-cinq exactement. Une porte s’ouvre discrètement rue du Musée. Iacchos sort de la réserve du Musée d’Art Moderne de Bruxelles. Il retrouve le soleil avec soulagement, son sac à dos rempli de champignons de Paris. 

Il décide d’encore un peu flâner avant de se rendre à la brasserie. De plus en plus de pavés manquent dans la rue. 

« Où peuvent-ils bien se cacher » se demande Iacchos. « L’inspecteur Barnabé doit avoir du fil à retordre ! » 

« Les Sinistres ont décidé que la Sécurité Sociale ne rembourserait plus que 0,05% des consultations médicales » titre en grand l’édition de 10 heures du journal « Le Matin ». En plus petit on peut lire « Les agences de cotations Woody & Bloody sont contentes mais demandent de nouveaux sacrifices en raison de la récession empirée ». C’est bizarre, se dit Iacchos, ce ne sont pas les pays qui ont les plus gigantesques dettes qui sont dans le collimateur des agences de cotations mais bien des petits pays européens… 

On y lit encore en grand : « 200 millions de dollars pour un tableau : « Le Cri » de Munch ». Iacchos aime ce tableau, mais il se dit que cet argent aurait été mieux apprécié pour le démantèlement du labyrinthe et la construction de puits d’eau dans le désert des Grandes Montagnes du Nord-Africain. Que de souffrances ce montant pourrait effacer… Peut-être que ce cri est celui du personnage du tableau qui est effaré du prix qu’il a atteint ? Ou est-ce le cri d’effroi du personnage qui voit les désastres nucléaires du futur ? Mais très vite Iacchos est détourné de ses sombres pensées. Son regard est attiré par de grandes affiches annonçant un nouveau décret émis par la Ville de Bruxelles : « Interdiction aux artistes de rue de se produire en public dans notre bonne ville ». Manifestement les affiches ont été hâtivement collées ; la nuit dernière elles n’y étaient pas encore. Ce décret suit celui sur l’interdiction de la mendicité de la semaine précédente. Le décret prend effet ce jour à midi. 



Artistes de rue au Mont des Arts, Bruxelles.

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artiste, Bruxelles



Iacchos descend l’escalier du Mont des Arts et arrive dans le jardin. Les artistes de rues y réalisent un dernier baroud d’honneur : dessinateurs, jongleurs, cabrioleurs, danseurs, magiciens, musiciens, tous ils enchantent Iacchos par la beauté de leurs gestes. Beaucoup ont la peau tannée par le soleil, certains ont visiblement l’habitude de sauter certains repas. Pourtant ils continuent leur art, les spectateurs sont émerveillés. Iacchos reconnaît aussi des illustrateurs et des dessinateurs de BD. Il achète un dessin à une jeune fille près d’une fontaine. Le dessin est superbe et coûte cinq euros (1). De nombreux oiseaux chantent dans le parc, des moineaux se disputent près de l’eau. Il commence à faire chaud, tout le monde profite de cette journée de soleil parmi les dernières avant l’hiver. Midi approche. Les artistes disparaissent petit à petit. Une vieille bruxelloise pleure : 

- On ne les verra plus jamais. Si ce n’est pas malheureux ! Que vont-ils devenir ? 

Un petit vieux à la pipe intervient : 

- Il parait qu’ils sont obligés de se réfugier dans la Forêt de Soignes. La police en arrête déjà pour trouble à l’ordre public. Le pouvoir a peur d’eux car ils détruisent les barrières entre les classes sociales. La ville aimerait réserver le centre historique au tourisme de luxe. 



musicien, Mont des Arts


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Un guitariste et un dessinateur de BD rue de la Madeleine...


Iacchos hâte le pas pour descendre par la rue de la Madeleine vers le quai aux briques. 

Soudain il n’y a plus un seul artiste de rue, plus aucun oiseau dans le ciel. Restent seulement les corbeaux dressés pour se poser sur l’épaule gauche des galeristes et des critiques d’art. Ils sont furieusement « tendance » cette année. Laissons-les aux sombres tâches qu’ils ont encore à accomplir. 

Soudain, il n’y a plus un seul souffle de vent. Des enfants ramassent leur cerf-volant, dépités. Les cloches sonnent. Il est midi plein. Iacchos entre dans la brasserie… 



(1) Merci à tous les artistes et spectateurs qui pour participer mon histoire ont bien voulu se laisser photographier…




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