Un encart pirate

Un encart pirate dans un grand magazine d’art à Bruxelles 

Et pendant ce temps à New-York : des indignés occupent le MoMA.




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C’est un encart pirate,
 on dirait un origami réalisé dans une feuille synthétique !



Le repas n’est pas entièrement terminé. Je commande un café pour moi, Iacchos préfère une grande tasse de chocolat chaud. Il feuillette le magazine Artakk pendant que je passe la commande. 

- Je vous envoie le robot dit le serveur qui semble être le seul personnel humain de la brasserie. Je ne suis pas certain d’avoir bien compris : après les automates un robot ? Iacchos relance la conversation. 

- Dis, tu crois vraiment que ce journal est à tendance communiste ? Il y a un encart avec des publications d’indignés, un article d’un « économiste atterré » et un autre écrit par un écologiste. 

Je regarde et constate qu’il y a en effet un encart avec des publications alternatives. Il est imprimé sur du papier recyclé. 

- Probablement que ce journal veut s’ouvrir à toutes les tendances culturelles pour peu qu’elles s’opposent à la doxa officielle mondaine, académique et institutionnelle. C’est clair que pour les indignés et les écologistes les étiquettes « gauche-droite » ne signifient plus rien. 

- Oh, regarde, il y a un appel des indignés de New-York : après avoir occupé la bourse de Wall-Street, ils ont organisé une marche de protestation vers le MoMA et ensuite occupé le New Museum et d’autres institutions artistiques. Ils appellent chacun à occuper le musée le plus proche (1). 

Iacchos me tend le journal et je lis la suite tout haut : 


- Les musées d’art contemporain mondain font partie intégrante du système néo-libéral. Ils en reproduisent fidèlement la logique, sont financés par le système et en dépendent. Seule une minorité d’artistes y sont présentés, toujours les mêmes. Comme pour Wall Street il y a ce 1% de personnes qui contrôlent tout et qui décident de tout. Au cours de ces trente dernières années, toutes les institutions culturelles significatives sont passées aux mains de cette minorité. Elle concentre pouvoir politique, argent et prestige social. (1) 


Iacchos interrompt la lecture : 

- Voilà pourquoi on formate les étudiants des académies à devenir des petits Ânons aussi serviles que des automates ? 

- En effet, la minorité ne supporte aucune remise en question. Elle fait de l’art une arme au service de l’appareil répressif. Pour mieux réprimer toute pensée indépendante il faut d’abord pervertir le langage et s’attaquer au sens. Confucius disait : « lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté ». Ensuite, afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de vraie contestation on formate les étudiants afin qu’ils acceptent ce nouveau langage qui les enfermera dans la doxa. Tu sais, l’homme est enclin à préférer la servitude à la liberté. Alors les Ânons suivent docilement une doctrine d’avant-garde, dépassée mais toute faite, qui leur donne l’illusion d’être libre et d’être révolutionnaire. En réalité la doxa leur interdit d’achever un dessin ou un tableau. Elle les condamne à rester dans l’anecdote, le presque rien, le futile. Ainsi plus aucune œuvre forte ne pourra déranger le pouvoir établi et son réseau de spéculation. Les pyramides de Ponzi sont interdites, même en art. Alors la spéculation exige du prévisible pour les spéculateurs initiés, sinon l'enrichissement ne fonctionne pas. Or l'œuvre forte perturbe toute prévision.

- Pourquoi crois-tu que l’idée de progrès et d’avant-garde est dépassée dans l’art ? 

- Tu te souviens de mon objection première : on peut parler de progrès scientifique. On peut aussi constater un progrès dans l’élaboration d’une société, mais déjà ici il faut être sur ses gardes car la civilisation peut reculer. Toute civilisation, toute société est mortelle. Croire en la fin de l’Histoire, c’est une illusion dangereuse ! L’Histoire ne sera jamais terminée dans le sens où l’humanité vivra toujours des avancées et des reculs. En ce qui concerne le domaine de l’art plastique, on y trouve des formes et des expressions. C’est une escroquerie intellectuelle que de considérer qu’une forme ou qu’une expression constitue un progrès par rapport à une autre. Soi-disant on crée la perspective à la Renaissance et c’est « un progrès ». Ensuite on abandonne la perspective au 20ème siècle et c’est encore un « progrès ». Cherchons l’erreur. 

Bien sûr qu’il a, en dehors des gadgets anecdotiques ou littéraires et malgré la doxa, plein de formes nouvelles et intéressantes dans l’art actuel. Mais elles ne sont pas meilleures ou moins bonnes que ce qui a déjà été fait, elles sont tout simplement autres. Ma seconde objection est la suivante : l’idée de « croissance » dans la fabrication et l’acquisition de biens est dangereuse. On ne peut croître de façon illimitée dans un monde qui lui est limité. C’est pour cette raison que le mythe de l’avant-garde est dépassé et à revoir d’urgence. Il faudra réécrire l’histoire de l’art de ce dernier siècle avec plus d’objectivité et moins de présupposés. Cela ne se fera pas avant l’énorme crash final boursier, trop d’intérêts sont en jeu actuellement. Enfin ma troisième objection provient tout simplement des faits : depuis Duchamp on continue à faire du Duchamp, depuis les premiers monochromes imaginés par des humoristes en 1851 on fait toujours des monochromes, quant à ce qui concerne « l’art conceptuel » on sort du domaine de l’art plastique pour entrer dans celui de la littérature et de la philosophie. Où est le progrès, où sont les avancées ? 

- Oui, mais voilà, dit Iacchos qui adore contredire : ce que tu fais est terriblement avant-gardiste ! Ses yeux rient et démentent son air sérieux. 

- Développe ? 

- On quittera la civilisation du tout à jeter, de la mode, de l’éphémère. On sera obligé de fabriquer des produits faits pour durer. Or tes toiles sont faites pour braver le temps. Tu es donc en avance sur ton temps. Ce n’est pas pour rien que des collectionneurs achètent tes œuvres en douce. 



Juste à ce moment arrive un robot sur roulettes. Il nous sert de façon assez cavalière, jetant presque les tasses devant nous. En voulant rattraper une petite cuillère qui prend la fuite, je renverse le journal à terre. 

- Ça alors, tu as vu ? Dit Iacchos tout excité. Du journal ouvert s’échappe comme une fleur violette. On dirait un lys vénéneux. D’abord plat il se déploie maintenant en trois dimensions et grandit de façon inquiétante. En petites lettres blanches il est écrit « Pirate » sur un des pétales. Un autre pétale est orné d’une tête de mort, d’autres encore sont remplis de textes en rose. 

- C’est un encart pirate, on dirait un origami réalisé dans une feuille synthétique ! 



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Le robot sert le breuvage artificiel au goût chocolat... 

Je ramasse le tout et le repose sur la table. Le robot sert le breuvage artificiel au goût chocolat et l’ersatz de café, mais au moment de servir une goutte d’ersatz tombe sur la fleur. Celle-ci se déploie alors en un étrange message à la forme compliquée. 

- On dirait qu’il y a un plan ! 

- Oui, c’est un plan pour arriver à la Grande Faille dans la forêt de Soignes. 

On replie la fleur, on ne sait jamais, le robot pourrait avoir une caméra de surveillance, et après avoir payé on sort pour se promener le long du Quai aux Briques. Il y a plein de restaurants prenant le crabe pour enseigne. Il y a le « Crabe dehors » avec ses grandes terrasses au soleil, et le « Crabe d’Or » dont le menu coûte exactement 33.000 fois le prix du menu que nous avons pris. Ce dernier restaurant est surtout fréquenté par des banquiers qui ont reçus des parachutes dorés. Le « Crabe aux pinces d’or » est fermé pour cause de procès avec la Fondation Moulinsart. 




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Restaurants Quai aux Briques.



(1) Ce paragraphe est authentique et est relayé par le n° 117 de « Camera Austria International » qui est un des rares magasines d’art à en parler. On y apprend les liens troubles entre deux trustees du MoMA et Sotheby’s, le gonflement artificiel des côtes, les influences cachées, les conflits d’intérêts, la censure, les liens avec le Thea Party (de droite !), la philanthropie pervertie… Bien sûr dans la plupart des autres magasines d’art c’est le silence total : on veut bien être révolutionnaire de façade et rouge caviar, mais il ne faudrait surtout pas gripper la machine si bien huilée !



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