16.05. Le palais toscan

Début de l'histoire...


Morgane



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Je cueillais des roses pour la table du petit-déjeuner...
Photo © Eric Itschert


Le lieu de notre première rencontre, à tous trois sans exception, fut un magnifique palais toscan datant de la Renaissance. Il est situé dans la campagne vallonnée de Toscane. En haut d'une colline, entouré de terrasses, d'orangers, d'oliviers, de rosiers et de cyprès il agit sur nous comme un aimant. Étrangement, comme la Maison des enfants perdus, il repose sur un socle en pierre. Des terrasses multiples bordées elles aussi de murs de pierre rendent l'édifice très majestueux, de loin on dirait une forteresse aux jardins arborés au milieu de vignobles. Sven vint à Florence pour étudier. Il avait quatorze ans. Mon père et son oncle s'étaient entendus pour qu'il vienne chez nous en vacances afin de mieux s'acclimater à sa nouvelle vie toscane et de pratiquer son italien un peu trop scolaire. Une fois l'inscription en ordre et sa chambre à l'internat de l'école d'art investie, il vint nous voir avec pour tout bagage un vieux sac à dos déclassé de l'armée danskoise.


Je n'oublierai jamais notre première rencontre: je cueillais des roses pour la table du petit-déjeuner lorsqu'il déboula sur le sentier de graviers. Son abondante chevelure blonde était inondée de soleil. Sa démarche était souple et harmonieuse. Il était d’une élégance à couper le souffle. L’air vibrait en raison de la chaleur et des insectes, mais autour du garçon il vibrait autrement, de façon plus dense et pourtant plus légère. L’aura de Sven modifiait toutes choses autour de lui. Soudain c’était comme si l’espace s’était redéployé en de nouvelles dimensions. Le chatoiement des couleurs gagna en intensité, des irisations nouvelles apparurent. Une brise légère entama un chant neuf, et l’énergie du chant se mêla aux murmures d’esprits et de sylphes invisibles qui semblaient être sortis de leur torpeur pour souhaiter à l’adolescent la bienvenue sur ces terres et lui faire un accueil triomphal.


Impossible de le cacher : en voyant Sven pour la première fois j'eus un choc terrible et j'en tombai aussitôt follement amoureuse. Je fis les présentations à table, j'avais la voix un peu étranglée par l'émotion. En fait j'étais complètement affolée par ce qui m'arrivait. Ma famille comprit très vite ce qui se passait. Je me souviens exactement de qui était à table: mon père, ma mère, Circé ma demi-sœur et son fiancé. Il y avait une sixième place prévue, la sienne, alors qu'on ne m'avait rien dit de sa venue. La beauté angélique et impossible de son visage nous ensorcela tous, dès l’instant de son apparition. Il portait des vêtements beiges d’une propreté impeccable, un peu usés mais bien entretenus. Tout était harmonie en lui, jusqu’au moindre détail. Son short moulait ses jolies fesses rondes comme une seconde peau, pour descendre ensuite plus librement sur ses longues jambes en des plis aussi impeccables que ceux de sa chemise. On devinait derrière tout cela l’attention tendre et aimante de sa gouvernante, et le déchirement horrible de leur séparation. Même le cuir de sa ceinture et de ses souliers était soigneusement nourri…


Des fois le palais ressemblait à une auberge espagnole...  Bizarrement Sven conquit immédiatement toute la famille et fut aussitôt adopté comme le fils absent revenant d'un long voyage. Jamais les autres jeunes hommes en visite à la villa ne parvinrent à un tel statut. Ils étaient snobs et riches, Sven nous conquit par sa simplicité et sa modestie. Il était tellement beau déjà, et pourtant il ne semblait pas en avoir conscience. Timide, il gardait souvent les yeux baissés et semblait toujours sérieux. Alors quand il nous fit ses premiers sourires je ne pus encore moins m'en passer. Il devint ma drogue, ma raison de vivre, ma seule et unique obsession. Sans cesse je pensais à son grain de peau, son beau sourire, son corps, ses lèvres, ses cheveux. D'où venait-il? Parfois je me disais qu'il était trop beau pour être vrai, qu'il risquait de disparaître à tout instant, et rien qu'à cette idée mon cœur se serrait horriblement. Oui, autant avouer qu'il fut aussi source de grandes souffrances pour moi car aussitôt qu'il s'éloignait de ma vue il me manquait jusqu'à en pleurer.


Le pouvoir de Sven était tel que toute la famille semblait revivre, respirer à nouveau après un long moment de léthargie. On ne parlait plus que de lui. La villa était en cours de restauration, on était en train d'enlever les derniers échafaudages des façades et elles resplendirent dans leur gloire ancienne. Cela correspondait avec la passion immédiate et inconditionnelle qu'on éprouva tous pour Sven, petit soleil vivant éclairant les murs du palais.



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Elles resplendirent dans leur gloire ancienne...
Photo © Eric Itschert


Il y eut pourtant une chose essentielle que je ne compris pas, au début. Eux ils le comprirent tout de suite, aussitôt qu'ils nous virent approcher de la table du petit-déjeuner ce premier jour du renouveau. J'avais une circonstance atténuante: j'avais le même âge que Sven. Comme lui je n'avais que quatorze ans. Ce fut Circé qui m'ouvrit les yeux. Elle était la sœur que tout le monde rêverait d'avoir, presque une seconde mère avec ses vingt-trois ans:

 - Tu ne réalises donc pas à quel point vous vous ressemblez? Votre beauté et la lumière qui émane de vous est fascinante! On dirait que vous êtes frère et sœur. Et non seulement tu es la seule de la famille à avoir des cheveux blonds, mais la couleur de tes cheveux est absolument identique à celle de Sven. J'ai de suite compris que vous étiez des âmes sœurs hors du commun. C'est à toi que je transmettrai mon savoir, mais tu devras en payer le prix. Vos peaux sont faites pour se frotter l'une contre l'autre, et vos sexes pour s'unir profondément.

 - Oui, toi tu vois les choses car tu es magicienne, tu sais ce que les autres ignorent. Mais Papa, Maman?

 - Tout le village croit que tu as un frère et qu'il revenu. Papa et Mère prennent garde de ne pas démentir la rumeur.

 - Mais pourquoi?

 - Il est le fils qu'ils n'ont jamais eu et qu'ils ont toujours rêvé d'avoir.

 - Il n'est pas leur fils, et j'en suis amoureuse!

 - Je t'aiderai...


Vivre librement comme des hippies était à la mode chez mes parents. Mais cet été-là on ne put pas nager nu dans la piscine, il y avait trop d'ouvriers et Circé me conseilla de ne pas brusquer les choses avec Sven. Il fallait qu'il s'habitue petit à petit à notre mode de vie. Et l'été suivant la piscine était à son tour en phase de restauration. J'aurais tant aimé admirer Sven nu, promener mon nez sur tout son corps pour sentir son odeur jusqu'aux endroits les plus intimes, et voir son lingam aussi.

Durant ces deux étés de grandes vacances Sven et moi on apprit à se connaître avec émerveillement. Très vite on devint les meilleurs amis du monde. Entre nous se développa une complicité rare. On ne se séparait que pour la nuit. Pourtant toutes mes timides approches pour l'inciter à me faire l'amour restèrent vaines. La rentrée fut une horreur. Quelle injustice! Sven restait en Toscane pour étudier alors qu'il venait de Guelbie, et moi je devais retourner en Guelbie pour achever mes humanités. Ma mère, qui avait longtemps vécu en Guelbie, en avait décidé ainsi. l'absence de Sven me laissait un arrière-goût de profonde mélancolie.

Alors je trichai, j'eus un premier amant lors de l'année scolaire à cause de mes envies de plus en plus pressantes. C'était mon professeur de grec et il était marié. Je m'en fichais, j'appris plein de choses tant en grec que dans le domaine d'Éros; et puis c'était lui qui risquait la prison, pas moi. L'année suivante, pour tromper mon ennui je pris un autre petit ami dont l'âge était plus proche du mien. J'adorais faire l'amour, pourtant Sven ne cessait de me manquer. On s'écrivait de longues lettres toutes les semaines. Yannick, mon petit ami, était très mignon mais sa beauté n'atteignait de loin pas celle de Sven. Pour parachever le tout, en dehors du langage de nos corps Yannick et moi on n'avait rien de commun. Il était très gentil et attentionné mais c'était une espèce de bûcheur, et son seul hobby était de collectionner les étiquettes des bouteilles et des conserves en verre. Il en remplissait religieusement des albums entiers. Les albums étaient somptueux. Il pouvait traverser toute la Guelbie pour aller en chercher dans de nouvelles petites conserveries ou chez des particuliers. Ses conversations tournaient autour des études ou des étiquettes.



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Beaucoup de pièces avaient gardé leurs anciennes fresques...
Photo © Eric Itschert


Le troisième été tout changea et se précipita. Sven et moi on avait atteint nos seize ans. La villa était entièrement restaurée, à part toute une série de pièces intérieures qui attendaient un enduit final et des fresques. Beaucoup de pièces avaient gardé leurs anciennes fresques, restaurées, mais certaines salles, trop endommagées, avaient perdu toute trace de peinture.  En seulement deux ans Sven avait atteint une renommée  qui commença à dépasser les murs de son école. On l'appelait maintenant 'il leoncino' (le lionceau), jamais un élève de l'École d'Art de Florence n'avait reçu un surnom alors qu'il n'avait pas encore fini ses études. Les professeurs racontaient que ses fresques étaient si vivantes qu'on avait parfois l'impression que les êtres représentés bougeaient. Des propriétaires de grandes villas vinrent même de Rome, de Naples et de Milan pour admirer l'étrange prodige. La quatrième année Sven serait en stage. Ma famille est très influente à Florence, mon père fait partie des plus anciennes de la ville. Il fut donc décidé que Sven ferait partie de l'équipe qui réaliserait les nouvelles fresques. Juste avant de retourner en Toscane je rompis avec mon petit ami, et je fis des tests de santé. J'appris que j'étais en parfaite forme.


Sven était trop mignon, il m'attendit à la gare de Florence-Santa-Maria-Novella avec un bouquet de roses... Il était accompagné d'un camarade d'école florentin, Fabio. Sven dut vite lui passer le bouquet, car je l'étreignis très fort. Collé contre lui j'eus difficile à le lâcher, je fondais de désir. Nos vêtements tout blancs - on avait eu la même idée - étaient si fins que je sentis pleinement son corps. Son lingam dressé était pressé contre mon sexe humide, et j'en conçus une joie encore accrue. Je voulais l'épouser tout en entier et en détail, m'en imprégner, m'en saouler. Il n'était plus irréel, je le sentais enfin, tremblante j'humais à en perdre haleine son odeur délicieuse et l'inondai de baisers dans le cou, près de l'oreille et sur le visage. J'avais tant rêvé de nos retrouvailles. Soulagée je me rendis compte que non seulement il ne se retira pas comme l'été dernier, mais qu'il me laissa faire avec un merveilleux sourire avant de me rendre mes baisers, et de descendre ses deux mains de ma taille au bas de mes reins, à la naissance de mes fesses. Il n'osa pas descendre plus bas malgré mon désir brûlant. J'en avais totalement oublié le quai de la gare et tout ce qui nous environnait.

 - Dio mio! Che bella riunione!
Se contenta de dire son copain avec un grand sourire et un sifflement d'admiration, n'en perdant pas une miette. Il avait l'accent chantant des florentins.





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