16.22. Des bonnes nouvelles

Début de l'histoire...


- Moi aussi j'ai accepté une double adoption!

Je mets un petit temps avant de réaliser: 
- Tu veux dire que tu t'es faite adopter par mon père, et que tu vas porter exactement les mêmes noms de famille que moi?
- Oui mon Sven adoré! Ton père et moi on voulait t'en faire la surprise!
- Oh mon Dieu Morgane! C'est fabuleux! Tu es merveilleuse! C'est le plus beau cadeau qui tu puisses me faire!

Après je lui donne plein de bisous reconnaissants, je ris, je lui chuchote des 'je t'aime' dans l'oreille, elle rit heureuse de voir ma réaction si enthousiasmée, elle ronronne de bonheur. Circé reprend d'une voix apaisante, pendant que je continue à embrasser Morgane:
- Désormais vos destins ne se quitteront plus. Chaque fois que cela sera possible, vous vivrez ensemble, que ce soit ici, en Guelbie ou ailleurs...

Après qu'on se soit un peu calmés, je dis d'une voix résolue:
- Moi aussi j'ai une bonne nouvelle à annoncer à ma toute nouvelle famille. Cela sera mon cadeau, en reconnaissance de mon adoption. Lorenzo m'a convaincu. J'accepte d'être le géniteur secret de nos nouveaux enfants.

Circé reste la bouche ouverte de stupeur. En riant je prends ma revanche sur les remarques que Circé faisait à mon second, qui a tendance à rester bouche ouverte à chaque surprise:
- Et ferme ta bouche, Circé. 

Je lui tire la langue. Circé rit, et à son tour elle se laisse déborder par la joie. Elle se précipite sur nous et n'arrête plus de m'embrasser. Morgane aussi m'embrasse et recommence à me caresser.
- Doucement! Il faudra me laisser du temps! Et si vous me laissiez m'habiller? Vous trichez, vous êtes habillées et moi pas! Morgane! Arrête! Tu vas finir par me donner trop envie et on va bientôt manger!

Tous ils rient. Circé a apporté des vêtements propres pour Lorenzo, et Morgane la même chose pour moi. Les vêtements sont posés en deux petits tas, bien repassés et soigneusement pliés. Ils sentent bon la lavande. Morgane et Circé nous regardent nous habiller. Quand on a fini Morgane ajuste mon col et Circé peigne les longs cheveux noirs bouclés de Lorenzo avant de lui faire un chignon. On est à mi-chemin quand la cloche sonne pour le repas. On digère les nouvelles, et en entrant dans la salle à manger nos visages graves mais heureux impressionnent nos parents. Ils nous font des compliments. Circé se précipite vers son père et lui chuchote ma nouvelle résolution. Il me fait un immense sourire. Avant la fin du repas tout le monde est au courant. Pour le moment il n'y a que des jours d'exception car Morgane et moi on a de nouveau droit à un verre de vin pendant le repas. Moi je choisis de prendre mon verre de vin au dessert, et je reçois un grand verre de vin blanc un peu trop bien servi. Il est doux, fruité et capiteux. Je n'en ai pas l'habitude et je deviens très joyeux. Après le repas je vais à nouveau me blottir contre mon père. J'ai des fous-rires sans raison. Mon père fourrage dans mes cheveux en riant:

- Mon petit démon a trop bu? Je crois que tu as été servi un peu trop largement. Je vais enguirlander le majordome. Ne vas pas dormir trop tard.
- Non, ne le gronde pas, s'il te plaît père? Je n'aime pas qu'on se fâche à cause de moi! C'est moi le seul responsable, j'ai tout bu, j'aurais dû en laisser. C'était trop bon. Ne lui dis rien, promis? Et puis je veux encore rester un peu auprès de toi, père, s'il te plaît? Je ne te vois jamais?
- Comment te résister? Reste.

En réalité la journée avait été très rude pour moi. C'est pour cela que le doux breuvage était le bienvenu. Voir le désespoir d'un adulte n'est pas insignifiant. Ce fut seulement au repas que je commençai à ressentir le vrai choc de ce que j'avais vu, ma peur panique de ne pas être à la hauteur, ma terreur de voir Lorenzo basculer dans le vide. Normalement un adulte en qui on a confiance c'est quelqu'un sur qui on doit pouvoir s'appuyer. Ici c'était un horrible cauchemar. C'est lui qui s'appuyait sur moi. Je ne sais pas du tout si j'eus la réaction adéquate. Parfois je me sens encore tellement jeune et inexpérimenté, presque un enfant... Enfin le principal c'est que Lorenzo soit toujours là. Le vin m'a aidé à me tranquilliser. 

Après je crois que je me suis endormi. J'entends le bruit de l'appareil photo de Lorenzo, il est en train de me photographier. Je sens Morgane qui vient déposer une couverture sur moi. Mon père a fait de la place pour qu'on puisse m'allonger, et on m'a enlevé mes chaussures. Après je ne me souviens plus de rien. Quand je rouvre les yeux ils rient tous. 
- Eh bien, Sven, on se paye sa première cuite? 

Il n'y a pas de moquerie dans leur rire, seulement une grande bienveillance. Cela me réchauffe autant que le vin. Morgane est assise tout à côté de moi, elle me regarde avec une infinie tendresse. Je reste allongé et je ferme à nouveau les yeux, je me sens merveilleusement bien. Je n'ai plus peur de rien, je ne ressens plus aucune angoisse, je suis pacifié. Je prends la main de Morgane, et je ne la lâche plus. J'entends les conversations, et je suis dans cette position confortable où l'on peut écouter en secret sans devoir répondre. 
- Oui, son ivresse prouve en tout cas une bonne chose: il n'est pas habitué à boire. J'avais craint le pire quand il est venu à Florence: il allait se retrouver dans un milieu d'étudiants tous plus âgés que lui, parmi lesquels quelques buveurs aguerris... 

C'est amusant quand d'autres parlent de moi comme si j'étais absent. Je découvre cette idée positive qu'ils se font de moi, qui me fait tant de bien, mais aussi leurs craintes infondées. Moi je sais que d'habitude je ne bois jamais d’alcool, mais eux ne le savent pas et ont peur. Peut-être que bien de mes peurs sont tout aussi infondées? Quand je reçois leurs louanges j'adore. Mais quand j'entends les mêmes louanges alors que je suis censé dormir j'ai carrément difficile à retenir des larmes de joie. Après ces pensées réconfortantes je sombre à nouveau dans le sommeil. Je suis réveillé par des bisous: 
- Sven, tu n'irais pas te reposer au lit? Je t'accompagne!
- Si tu veux je peux aller seul, ne te déranges pas pour moi?
- C'est totalement hors de question! Et si tu tombais dans l'escalier? Espèce d'inconscient.

Je m'assieds, c'est Morgane qui lace mes chaussures. Ensuite je me lève, tout va bien et je retrouve facilement mes esprits. J'embrasse tout le monde en leur souhaitant bonne nuit. Je veille à marcher bien droit, pour leur prouver que je ne suis pas ivre. Mais une fois dans le couloir je dis à Morgane: 
- Je dois absolument pisser!

Elle rit:
- Cela ne peut pas attendre notre arrivée en haut?
- Morgane, c'est urgent!

Elle me conduit aux sanitaires d'en bas. Maternellement c'est elle qui ouvre mon pantalon et le descend avec mon slip, juste à temps avant le jet puissant. Elle rit et pose sa tête sur mon épaule en me regardant faire:
- Eh bien, il s'en est fallu de peu!

Quand on est dans ma chambre c'est elle qui me déshabille. Je m'allonge tout nu sur les draps légers et accueillants. Elle me couvre, comme un gosse, du drap du dessus. J'aime cela. Je ferme les yeux. J'ai une grande impression de sécurité. Quand elle est là j'ai le sentiment que rien ne peut plus nous arriver. Je lui dis tout mon bonheur de son cadeau.
- Rien que pour revoir une telle reconnaissance de toi je pourrais déplacer des montagnes!
- Ben... tu la reverras pendant plusieurs jours, ma reconnaissance, car je n'ai pas encore complètement réalisé. Il s'est passé tant de choses aujourd'hui...

Je me mords la lèvre. Cette dernière phrase et la manière un peu triste de la dire était de trop. Le vin m'a fait baisser la garde. Je sais que maintenant je ne pourrai plus échapper à l'interrogatoire. C'est impossible de lui cacher quoi que ce soit, ni à elle ni à Circé.  
- Sven, il s'est passé quelque-chose cet après-midi. Et tu n'es pas tombé. 

Je proteste faiblement:
- Mais si je suis tombé! Depuis quand est-ce que je te mentirais?

Elle se radoucit, m'embrasse tendrement pour me faire sentir qu'elle ne cherche pas l'affrontement, qu'elle ne veut que mon bien.
- Excuse-moi, Sven. Ce n'est pas du tout cela que j'ai voulu dire. En aucun cas je ne t'accuse d'être un menteur. C'est seulement l'angoisse qui me fait parler ainsi. La griffe sur ta peau est trop nette pour être celle d'une chute. C'est la griffure d'un ongle. Qu'est-ce qui s'est passé? Lorenzo et toi vous vous êtes battus?

 Je grogne:
- Non, qu'est-ce que tu vas chercher là? Laisse-moi dormir, on en parlera demain...
- Sven, je veux savoir! Il ne t'a contraint à rien?
-  Mais non, tu as vraiment trop d'imagination! Fais-lui un peu confiance! Laisse-moi dormir!
-  Mets-toi sur le ventre!

Elle enlève entièrement le drap du dessus, je m'exécute, et elle inspecte ma peau.
- Tu as un énorme bleu sur la hanche! Tu as du avoir terriblement mal. Retourne-toi!

Je sens poindre en elle une colère terrible et irraisonnée. Je me retourne sur le dos en grognant:
- Tu sais, cela arrive quand on tombe.
- Si qui que ce soit t'a fait du mal, je serais capable de le tuer!

Je me sens trop fatigué pour garder les yeux ouverts et pour argumenter. Je me demande si elle aussi n'est pas un peu ivre, d'où ses angoisses. Elle inspecte partout, elle me fait relever les bras et voit un second bleu sous une de mes aisselles.
- On t'a massacré! Si ce n'est pas Lorenzo, c'est qui? Ton assaillant est revenu?

Je n'ai pas le temps de lui dire que ce dernier est en train de dormir en prison, qu'elle relève et écarte mes jambes pour inspecter ma fleur. Elle pousse un soupir de soulagement et lui donne quelques rapides coups de langue râpeuse avant de reposer mes jambes.

- Sven, dis-moi ce qui s'est passé. Sinon je ne pourrai pas dormir.
- Ma Morgane adorée, tu sais que parfois tu es un tout petit peu casse-pieds? Mais je t'aime quand même, tu sais, inconditionnellement! Bon, je vais tout te raconter sinon tu vas encore te faire des films toute seule. Finalement il vaut mieux la vérité que le produit de ton imagination. Lorenzo faisait le mariole sur la rambarde de la piscine. À un certain moment il est tombé sur moi, m’entraînant dans sa chute. Heureusement il y avait à cet endroit des matelas, on a eu plus de peur que de mal. Il m'a griffé au passage, tu sais qu'il aime avoir des ongles longs. Tu vois, il n'y a pas de quoi en faire un plat!

Morgane devient toute pâle, elle met ses mains devant sa bouche.
- Oh mon Dieu! Il est encore plus timbré que je ne le pensais! Il aurait pu se tuer! Tu imagines l'état de Circé?



suicide
Je vois le corps écrasé en bas de la muraille,
 le sang, la belle tête bouclée fendue par une pierre...


Moi je m'imagine très bien, beaucoup trop bien même! Je vois le corps écrasé en bas de la muraille, le sang bu par les plantes, la belle tête bouclée fendue par une pierre, les grands et profonds yeux de gazelle devenus morts et vitreux, une larme de sang glissant sur la jolie joue ronde, les gracieux membres désarticulés, le secret éventé, l'enterrement, l'annulation du mariage, le deuil dans la villa, les projets avortés... Je n'ai eu cesse d'y penser pendant une partie du repas. Mais je préfère ne rien lui dire, cela ne sert à rien d'ajouter mes angoisses aux siennes.
- Morgane, c'était un accident. Il ne recommencera plus, vu la frousse qu'il a eu. Dors tranquille maintenant. Je t'aime à la folie!
- Sven?
- Oui?
- Tu me pardonnes?
- Mais quoi?
- Mes paroles...
- Morgane, il n'y a rien à pardonner! J'aime quand tu t'inquiètes pour moi. Moi les jours qui viennent je reviendrai sur la magnifique surprise que tu m'as faite, je t'exprimerai toute ma reconnaissance, tu verras, tu ne perds rien pour attendre! Tu ne vas pas pouvoir y échapper, je te torturai par mille délices!

On rit et Morgane m'enlace, heureuse:
- Tu me donnes des frissons rien qu'à y penser!
- Ton inspection alors que je voulais dormir n'était peut-être pas nécessaire? Haha, arrête de faire cette tête-là, je rigolais. Je suis trop fatigué que pour réellement en profiter, tu la referas avec des caresses pour pimenter le tout.
- Sven?
- Oui?
- Tu veux bien dormir avec moi cette nuit? Je te laisserai dormir en paix, je te le promets! J'ai juste envie d'être contre toi.

Mon cœur fait un bond de joie. Avec Morgane près de moi j'échapperai peut-être aux cauchemars. Je revois cet instant où Lorenzo bascule dans le vide. Je ne veux pas montrer ma faiblesse à Morgane. Je ne veux pas lui raconter. Je baille et je m'étire. Je sors du lit et j'enfile mon peignoir. Cette fois c'est moi qui lui prends la main comme pour la guider. Je suis complètement dégrisé par notre conversation et par le souvenir de ce moment terrible dans la journée. Morgane s'excuse encore:

- Je m'en veux de ne pas te laisser dormir.

Je ris:
- Si c'est pour le plaisir de m'endormir à tes côtés cela en vaut la chandelle, non? Morgane, moi aussi j'ai envie d'être près de toi cette nuit. Près de toi toutes mes angoisses disparaissent, ce soir j'en ai vraiment besoin.

On se glisse dans son lit, et elle vient se lover contre mon dos. Sa chaleur et sa respiration me rassurent et me calment. Elle m'enlace et ne peut pas s'empêcher de me donner plein de bisous sur les épaules et dans le cou avant de s'endormir.  Heureux, je me laisse faire. À mon tour je sombre paisiblement dans le sommeil.




Un réveil fleuri



Morgane


Le lendemain matin, quand on s'éveille, il est tard. Quelqu'un a débranché le réveil pendant la nuit. Deux magnifiques plateaux de petit-déjeuner nous attendent sur des tréteaux, avec de superbes bouquets de fleurs. Cela nous rassure, on a du prévenir en bas de notre absence au petit-déjeuner familial. Circé est assise en face de nous, elle est terriblement sérieuse, elle attendait notre réveil. Elle nous laisse le temps d'émerger du sommeil. Je n'ai pas encore repris conscience de ce que Sven et moi on s'est raconté la veille et je dis en souriant:

- Quels superbes bouquets, Circé tu en fais vraiment trop!
- Non je n'en fais pas trop! Et je suis sérieuse là! Sven, je dois te parler. Maintenant!

Je regarde vers Sven, un peu inquiète. Je n'ai jamais vu Circé aussi émue. Sven semble très gêné. Je  fais mine de sortir du lit:
- Circé, tu veux que je vous laisse seuls?
- Surtout pas! Je veux que tu saches, toi aussi, tout ce qui s'est passé hier pendant que nous étions au conseil de famille. Je dis bien tout! Je suis sûre que Sven ne t'en a pas raconté la moitié. Mon Dieu, Sven, ne tire pas cette tête-là, si j'ai mis des jolis bouquets ce n'est pas pour te faire ensuite des reproches! Installez-vous confortablement, mes blondinets adorés, c'est moi qui vous sers votre petit-déjeuner.

Je n'en reviens pas. Circé qui nous sert en se passant du personnel!
- Attends, Circé, je vais t'aider.
- Reste là. J'aimerais juste que tu écoutes.

Alors tout en nous servant un petit déjeuner succulent Circé nous raconte. Je savais bien que Sven ne m'avait pas tout dit la veille. Il a voulu dédramatiser la situation. Circé beurre nos pains, elle emplit nos tasses et nos verres, je vois qu'elle a parfaitement retenu ce que chacun de nous nous aimions. Même l'ordre est respecté. Elle ouvre l’œuf à la coque de Sven, elle lui a préparé des mouillettes. Au fur et à mesure qu'elle raconte je comprends le rôle de Sven dans l'histoire. Il a sauvé la vie de Lorenzo! Mes regards pleins d'admiration le gênent, et pourtant je ne puis faire autrement. Maintenant je comprends pourquoi Sven a bu plus que d'habitude hier soir, pourquoi il était angoissé, pourquoi il était si heureux de dormir avec moi cette nuit. Je devrai particulièrement bien l'entourer pour le moment. Il faut qu'il puisse me raconter à nouveau l'histoire, plusieurs fois si nécessaire. Cela a un effet thérapeutique. Circé termine son récit quand on a fini de manger. Elle débarrasse les plateaux en silence et va les mettre sur un chariot hors de la chambre. Ensuite elle revient devant nous, et saisit les mains fines de Sven.

- Sven, j'ai toujours dit que tu avais l'apparence d'un magnifique ange. Mais hier tu as pleinement révélé toute ta dimension solaire, celle d'un ange gardien perdu sur terre. Je ne te le dirai qu'une seule fois, devant témoin, afin que tu ne l'oublies jamais: je te suis reconnaissante à vie! Seulement il y a un grand problème: je t'étais déjà infiniment reconnaissante avant, le palais revit grâce à toi. Je ne sais plus comment pouvoir te l'exprimer... Je suis complètement perdue, face à toi j'ai fini par perdre tous mes moyens. Tu avais déjà conquis mon cœur et maintenant tu as sauvé l'amour de ma vie...

Circé se met à pleurer, jamais je ne l'ai vu pleurer. Je suis bouleversée. Sven se lève et vient enlacer Circé. Il ne supporte pas de voir des larmes.

- Mais Circé, moi aussi je te dois tellement de choses! On ne va quand même pas commencer à tenir une comptabilité? N'est-ce pas toi qui a dit que nous étions tous responsables les uns des autres dans cette famille? Ne pleures plus, Circé, s'il te plaît? Tu ne me dois rien! Et tu oublies Morgane. Tournons la page et oublions ce mauvais moment.

Circé sèche ses larmes, et reprend d'une voix déterminée:
- Ce qui est dit est dit. Ce qui a été fait ne sera jamais oublié, car toute notre histoire future en sera influencée. Tu ne pourras jamais effacer ma dette envers toi. Béni soit le jour où tu es né! Et béni soit le jour où tu as fait tes premiers pas dans les jardins du palais!

Alors Sven essaye sa tactique de diversion, et je ris. Il prend sa voix doctorale, mais ce discours si sérieux tenu par un adolescent tout nu, le petit doigt levé, c'est trop rigolo.
- Cela serait juste bien que Lorenzo et toi vous parliez beaucoup plus ensemble. Passez plein de moments de qualité l'un avec l'autre.  Déléguez une partie de votre travail. Vous vous aimez mais vous devez maintenant apprendre à mieux vous connaître. Ah oui, et il est insatiable en caresses, je crois que pour le moment il est très fort en manque. Fais-lui des massages comme ceux que tu m'as donnés, c'est délicieux et cela lui procurera surement beaucoup de bien...

Pendant que Sven pérore, Circé l'embrasse délicatement sur le front, et puis se baisse pour lui baiser tendrement les pieds. J'assiste à un rituel sacré, totalement décalé par rapport aux paroles de Sven. Le regard de Circé exprime une adoration muette et empreinte de gravité. En cet instant Sven est son dieu, et elle le vénère. Ce n'est qu'ensuite qu'elle retrouve le sourire. Comme moi le sérieux du garçon doit l'amuser. L'humour nous sauve une fois de plus de nos émotions trop fortes. Circé finit par rire et rassure le garçon:
- Mon bel ange, je sais retenir les leçons de mes erreurs. Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais Lorenzo est beaucoup plus détendu depuis hier. Les amoureux, on ne vous attend pas avant midi, profitez-en. Les parents sont en train de nager dans la piscine avec Lorenzo. Pour le moment on ne va pas le quitter d'un œil. À tantôt!

Quand les pas de Circé se sont éloignés, je bondis vers Sven et lui emprisonne les mains et les jambes. On n'est pas encore habillés et on en profite.
- Traître! Tu ne m'as pas tout raconté!
- Je voulais t'en dire plus ce matin mais ta sœur m'a coupé l'herbe sous les pieds.
- Attends un peu! On parlait hier soir de reconnaissance! C'est à moi de t'exprimer la mienne ce matin! C'est toi que je vais faire crier!
- Aieuh! Mon bleu!

Je ris et lâche un instant ma prise. Sven me tire la langue avec un air coquin:
- C'était pour rire! Tu ne m'as pas fait mal, tralalalère. Attends, tu vas voir, je vais retrouver l'avantage après ton attaque au dépourvu!

Je reprends aussitôt ma prise et Sven se tortille pour se libérer avec douceur. Aucun de nous ne veut faire mal à l'autre. Cela se termine par une délicieuse lutte ébouriffante pour savoir qui maîtriserait l'autre. On s'occupe ainsi gentiment jusqu'à midi, chacun se laissant tour à tour dominer par l'autre pour varier les plaisirs. À midi c'est un vrai champ de bataille qu'on laisse derrière nous, et on n'a pas comptabilisé les cris...


Circé


Après le repas Morgane me rejoint, soucieuse:
- Hier soir on était vannés. J'ai pourtant senti qu'il s'était passé quelque-chose de grave. Sven fait le brave et essaye de détourner notre attention du choc qu'il a reçu. Pourtant cela lui ferait du bien d'en parler. Cela a réveillé de profondes blessures en lui. Un de ses seuls amis a fait une tentative de suicide dans le passé, et il en est mort. Chaque fois que Sven en parle, il en pleure encore. Tu devrais voir son air désespéré quand il raconte cet épisode de sa vie. Il se reproche de ne rien avoir vu venir, de ne rien avoir pu empêcher. Il avait treize ans. Il était tellement jeune...
- Les garçons sont bien plus fragiles que nous. Je suis furieuse contre Lorenzo et contre moi-même. Contre Lorenzo parce-qu'un adulte ne fait pas subir une chose pareille à un adolescent. Contre moi-même parce-que je n'ai pas réalisé à quel point Lorenzo était fragile pour le moment. Je ne peux même pas l'enguirlander, cela ne ferait qu'aggraver les choses. Il y a trop de souffrances accumulées derrière son geste. Morgane?
- Oui?
- Lorenzo voulait réellement se suicider.
- Lorenzo et toi vous avez eu raison de ne pas le dire à Sven. Pourquoi cet ange prend nos vies tellement à cœur? Comment lui apprendre à penser un peu plus à lui-même? C'est un papier buvard, il absorbe toutes les émotions autour de lui, en bien mais aussi en mal. Parfois cela le ronge. Il pleure pour un rien, sa sensibilité est exacerbée.
- Quand j'ai dit à Sven à propos de Lorenzo 'je ne sais pas ce que tu lui as fait', en réalité je le savais très bien. Mais en parler m'était beaucoup trop difficile. Pour Lorenzo l'intervention de Sven a été une véritable révélation. Sven s'est montré à la hauteur, et bien plus que cela. Lorenzo manque de confiance en lui. Soudain un des êtres qu'il respecte et aime le plus au monde lui dévoile sa tendresse et son amour inconditionnels, quelle que soit son apparence. Ensuite Sven a dit à Lorenzo, entièrement nu devant lui, qu'il était beau. Jusque-là j'avais été la seule à le lui dire, car j'étais la seule à l'avoir vu tout nu.
- Il y a eu aussi ses deux amants, non?
- Un des deux était un salopard qui s'est servi de lui comme d'un objet sexuel jetable. L'autre était plus fréquentable, et lui a souvent dit qu'il avait envie de lui. Mais jamais aucun des deux n'ont prononcé ces mots magiques: 'tu es beau comme tu es'. Tu aurais dû voir comment Lorenzo était transfiguré hier soir. Sven a prononcé ces mots avec une telle conviction, une telle sincérité, une telle spontanéité que Lorenzo en a été tout chamboulé. Depuis lors ces paroles tournent en boucle dans sa tête et c'est bien ainsi. Sven a été le premier à lui dire cela sans aucune arrière-pensée sexuelle. Je crois que c'est ce qui a été vraiment déterminant pour Lorenzo. Lorenzo m'a juré que jamais plus il ne recommencerait... Il regrette sincèrement son acte, et je lui raconterai l'histoire de l'ami de Sven pour le faire réfléchir encore un peu plus. Au palais tout le monde est responsable autant de soi que des autres. Je crois que c'est quelque-chose qu'on devra encore souvent se répéter...
- Sven l'a bien compris, non?

Je ris, aussitôt qu'une parole semble critiquer Sven ma sœur sort ses griffes. J'adore!
- N'as-tu pas dit toi-même que Sven devrait apprendre à mieux prendre soin de lui?

Morgane m'embrasse, c'est sa manière de faire la paix.
- Bon, en attendant je retourne prendre soin de lui, puisque lui ne le fait pas assez. Je veux lui faire raconter lui-même l'histoire, entièrement cette fois...
- Attends quelques jours. Pour le moment le plus important pour lui est de voir son père.
- Tu as raison. Il ne faut pas trop lui mettre la pression.





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