16.29. La rentrée
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Salut Akira, c'est chouette de te retrouver ici ce soir! Image créée avec Ai Gallery |
La voiture me dépose juste devant les portes de l'internat. À ma grande surprise Fabio est en train de m'attendre. Il est accompagné par l'assistant de mon professeur d'auto-défense, Akira. Je me demande ce que ce dernier fait là, il est d'une autre équipe. Tous les deux me font un immense sourire. Les portières de la voiture claquent, le chauffeur dépose mes bagages sur le trottoir mouillé. Circé et moi on a fait nos adieux dans la voiture, en sortant on se donne juste la bise. La voiture repart aussitôt, je salue Circé de la main. Je suis trop excité par la rentrée que pour m'appesantir sur la fin des vacances.
- Il leoncino, on t'attendait avec impatience! Ils ont fait pleins de travaux à l'internat!
Fabio se précipite dans mes bras, je suis très ému par cet accueil. On se donne chacun un bisou sur la joue.
- Content de te revoir, mon fidèle second. Salut Akira, c'est chouette de te retrouver ici ce soir!
Akira me salue avec une inclination, et Fabio reprend la parole:
- Euh... justement à propos d'Akira on a une faveur à te demander. On est tous d'accord, l'Ancien aussi. Il ne manque plus que ton assentiment à toi. Est-ce qu'il peut rejoindre notre équipe? C'est soit notre équipe soit celle d'Enzo. Akira n'a plus d'équipe, tous les siens ont été recalés cet été. Chez Enzo il risque de souffrir le martyre!
- Ce n'est pas moi qui te fais une faveur, Akira, c'est toi qui m'en fais une en acceptant de nous rejoindre! Il est hors de question de laisser une perle comme toi aux mains d'Enzo! Bienvenue parmi nous, cher Akira, dès cet instant tu fais partie des nôtres.
Le jeune homme rougit de plaisir, on se donne la main. Fabio est tout heureux, il se met à imiter la danse des scalps. Puis il me salue militairement:
- Capo, on est à tes ordres.
Je ris devant les cabrioles de Fabio:
- Pas avant demain, mon gentil second. En attendant si tu voulais bien me montrer nos chambres, on pourrait déjà se débarrasser de ces bagages encombrants. Je suppose qu'on est ensemble toi et moi, on dort à combien par chambre?
- On aura le studio. Tu vas voir, tout est restauré, on a notre propre salle de douche avec WC! Et on a de l'eau chaude. Chacun a sa chambre. Les lits sont tout neufs, et ils sont enfin pourvus de matelas confortables.
- Génial! Tu n'imagines pas à quel point cela me fait plaisir! En hiver les douches étaient glaciales et il fallait toujours trimbaler ses affaires d'un endroit à un autre. Quant aux paillasses infâmes qu'on avait en guise de matelas, il fallait être très fatigué pour pouvoir s'y endormir!
Le studio
Fabio et Akira se saisissent de mes bagages, on monte le grand escalier de l'internat. Cette fois on loge au premier, on a moins à monter. Le studio est tout au bout du couloir. Une fois dans le studio je fais le tour du locataire, admiratif: tout est dans des tons de blanc et de blanc cassé. Les meubles sont en frêne lasuré en beige très clair. On entre d'abord dans la grande salle commune: on y a chacun un joli bureau pour étudier, et des bibliothèques. Ensuite on traverse un couloir très court avec une première porte de chambre, pour arriver dans la seconde salle commune. Elle comporte un grand divan neuf en L avec housses, une table carrée avec un échiquier en marqueterie dessus et un plateau inférieur pour poser la boîte aux pions, des magazines et des cours. La petite salle commune fait sas entre les deux chambres du fond et la salle de douche avec WC. L'espace est bien calculé, j'admire le parti que l'architecte a pu tirer de cet ancien appartement. Toutes les pièces sauf les sanitaires ont une fenêtre, la grande salle commune en a deux.
- C'est magnifique! Mais... pourquoi on a droit au studio?
- C'est le privilège des capos: ils sont les premiers à pouvoir choisir leur chambre. L'autre capo a pris une chambre pour lui seul. Après en avoir discuté avec Circé j'ai pris la liberté de réserver le studio six pièces pour nous. Tu peux encore changer si tu veux.
- En aucun cas, tu as fait un très bon choix!
Fabio rayonne.
- Notre troisième compagnon de chambrée est-il déjà désigné?
- C'est le privilège des capos: ils sont les premiers à pouvoir choisir leur chambre. L'autre capo a pris une chambre pour lui seul. Après en avoir discuté avec Circé j'ai pris la liberté de réserver le studio six pièces pour nous. Tu peux encore changer si tu veux.
- En aucun cas, tu as fait un très bon choix!
Fabio rayonne.
- Notre troisième compagnon de chambrée est-il déjà désigné?
- On a le choix entre Corrado et Akira.
- On prend Akira! Euh... enfin, si tu veux bien?
Mon cri du cœur touche le jeune homme.
- Bien sûr, je n'espérais que cela! Merci il leoncino, je suis vraiment heureux d'être admis dans votre chambrée, c'est un honneur pour moi. J'essayerai de m'en rendre digne.
Amusé par sa manière de parler je tape dans sa main:
- À nous trois on fera une chambrée formidable!
Fabio reprend la parole:
- La direction nous demande de désigner un chef de chambrée, il sera responsable de la tenue du studio.
- Tirons à la courte paille.
Je prends trois petits crayons de longueur différente:
- Le crayon le plus court désignera notre chef.
À notre grande joie c'est Fabio qui gagne. Les bagages d'Akira sont restés en bas, on va les chercher. En entrant dans le studio Akira enlève ses chaussures, on décide de l'imiter. Puis on range nos affaires et on fait notre lit. Fabio prend son rôle très au sérieux et veut montrer à Akira comment on fait un lit au carré, mais à son étonnement le garçon connaît déjà la méthode. Le règlement de l'internat est affiché sur la porte. Il nous est par exemple interdit de recevoir des filles dans notre chambre. Et on ne peut se rendre visite pour des devoirs ou des leçons qu'avant le repas du soir. Ensuite c'est le premier couvre-feu, on a encore le droit de sortir mais on ne peut se voir qu'en dehors des chambres, dans la bibliothèque, la salle d'études ou la salle de jeux. Le deuxième couvre-feu provoque l'extinction des lumières dans les couloirs et les locaux communautaires. Seul l'éclairage de secours reste allumé. La coutume veut que chaque chambrée édicte son propre complément de règles. Nous on préfère éviter d'en faire trop. Fabio propose deux règles supplémentaires:
- Après le repas du soir chacun devrait pouvoir se promener tout nu pour aller à la douche ou au lit, on ne devrait pas se gêner pour les deux autres. Qu'en pensez-vous?
Akira et moi on marque de suite notre accord, dans nos cultures à nous c'est tout à fait normal. Fabio, heureux d'être suivi, nous fait un grand sourire puis continue:
- Il est important de bien se reposer la nuit. Au deuxième coupe-feu, celui qui doit étudier plus tard devrait être prêt à entrer au lit sans devoir encore se changer ou se laver. En fait il faudrait qu'il devienne très silencieux. Certaines parois sont très légères, on entend tout!
Akira et moi on rit, Fabio a manifestement eu une très mauvaise expérience dans le passé. Je sais qu'il a besoin de beaucoup de sommeil. On marque de suite notre accord. Akira et moi on sait qu'on n'aura jamais besoin de ce temps supplémentaire d'étude. Fabio est visiblement soulagé de notre docilité.
- Vous voyez d'autres choses?
Akira prend la parole:
- Est-il possible de marquer la différence entre l'extérieur et l'intérieur du studio? On pourrait enlever nos souliers en entrant, prévoir une étagère à souliers et à pantoufles, les invités aussi seraient obligés de se déchausser?
C'est au tour de Fabio et de moi de sourire, en même temps on trouve cela une excellente idée. Fabio reprend la parole:
- J'adore cette idée, pour moi c'est adopté!
- Pour moi aussi!
Akira reprend:
- En fait j'évite aussi de me coucher sur mon lit avec des vêtements de ville quand les draps sont ouverts.
Fabio et moi on répond en chœur:
- Ah, toi aussi?
On a un fou-rire, on se découvre exactement sur la même longueur d'onde.
- Et toi, il leoncino, tu as aussi certainement l'un ou l'autre désir?
- Je propose qu'aucun visiteur ne soit autorisé à aller plus loin que la première salle. On ne peut quand-même pas faire entrer les filles. Imaginez qu'un de nous soit à poil pour prendre sa douche et qu'un invité vienne se pointer dans la petite salle?
On rit tous les trois, Akira et Fabio opinent dans un bel ensemble:
- Adopté! Pour éviter toute tergiversation de nos invités on va marquer tout cela en dessous du règlement général, il y a de l'espace libre prévu pour cela. On peut toujours modifier le règlement intérieur après discussion. Faisons-nous confiance. N'hésitons jamais à se parler. Tout se passera bien.
Akira reprend timidement:
- Dites... Ceci ne concerne plus les règles complémentaires... Vous voyez beaucoup d'utilité à cette petite pièce commune pendant le jour à part sa fonction première de sas? Le jour on étudiera dans la grande salle commune. Étudier sur un divan c'est pas le top. Celui qui veut réellement le faire parce-qu'il est fatigué peut utiliser son lit... C'est comme si on avait tapé un divan et une table pour remplir le sas. Moi je verrais bien ce sas comme un endroit où l'on peut se retrouver le soir en pyjama, un endroit de détente.
- Donc on ne s’assiérait pas non plus dans le divan avec des vêtements de jour?
- Oui, exactement. On aurait ainsi une claire séparation entre le local de jour et ceux de nuit.
- C'est une excellente idée! Qu'en penses-tu, il leoncino?
J'opine du bonnet avec un grand sourire. Fabio a l'air enthousiasmé, ce soir c'est un vrai boute-en-train! Je vais aussitôt l'embrasser sur la joue, je l'adore. Je n'ai plus envie de me gêner devant Akira, puisqu'on sera amené à se côtoyer tous les jours. Je dois avoir quand-même l'air un peu inquiet, car aussitôt Akira me fait un gentil clin d’œil, un grand sourire et tente de me rassurer:
- Vous êtes trop mignons tous les deux, j'envie votre complicité! Je suis vraiment heureux d'être avec vous.
En réponse Fabio et moi on va l'embrasser chacun sur une joue, il ne s'attendait pas à cela et semble visiblement ravi. Ensuite on se dirige vers le réfectoire pour le repas du soir. Je suis accueilli comme un prince par les internes de mon équipe.
- Il leoncino, par ici! On t'a réservé deux places, pour toi et pour ton second!
Je ris:
- Il m'en faudrait trois. Je vous présente Akira. Il nous a fait l'honneur de rejoindre notre équipe, un hourra pour lui!
Les autres le reçoivent chaleureusement par plusieurs hourras et font de la place pour qu'il puisse s'asseoir à côté de moi. Akira est très ému. Ensuite je pense au plus jeune d'entre nous après moi, de loin le plus fragile de notre équipe:
- Où est Gabriele?
J'entends la voix de Cesare:
- Ici!
- Viens Gabriele.
Le garçon s'approche timidement, il est manifestement un peu triste. Il a un visage régulier encadré de boucles couleur blond paille, une petite bouche, ses yeux verts me font penser à ceux de Circé, ses sourcils sont fins et élégamment dessinés. C'est Cesare qui vient me le présenter.
- Qui loge dans ta chambre?
- Cesare. On est juste à côté du studio.
- Excellent. C'est le meilleur compagnon de chambre que tu puisses avoir. N'hésites jamais à faire appel à lui en cas de coup de cafard ou pour répéter tes leçons. Cette année on doit tous réussir, sans exception! De grandes choses nous attendent!
Tous saluent ces paroles par un hourra. Le garçon sourit faiblement.
- Merci il leoncino, je travaillerai de mon mieux.
- Tu vas voir, la rentrée se passera merveilleusement bien. On t'aidera tous.
Cette fois le sourire de Gabriele devient plus lumineux.
Une fois que Gabriele est retourné à sa place, je glisse un petit mot à l'oreille de Cesare:
- Cesare, je compte sur toi pour veiller sur notre Gabriele, il m'a l'air si triste ce soir. Surveille ses travaux théoriques, c'est le seul d'entre nous qui traîne un peu la patte. Je veux absolument qu'il réussisse, sa famille se saigne aux quatre veines pour lui.
- Compte sur moi, il leoncino. Je suis si heureux de te revoir, tu m'as manqué!
- Toi aussi, Cesare, tu m'as manqué...
On se donne une solide poignée de mains. Cesare est un de mes meilleurs soutiens après Fabio. Il a des cheveux couleur noir de jais, à peine bouclés, qui lui tombent jusqu'au bas du cou. Ses yeux sont gris bleuté, il a une silhouette élégante. Son visage est splendide. Ses sourcils et son nez sont gracieux, fins et réguliers. Sa lèvre supérieure est fine, sa lèvre inférieure est plus épaisse, ronde et sensuelle. Ses sourires en coin ont parfois un petit côté inquiétant à cause d'une cicatrice qui lui marque la joue gauche. Un joli petit tatouage noir très fin orne son épaule droite: il est fort étrange. Il représente un grand oiseau de nuit avec les ailes repliées, pourvu d'une tête de faune cornu. C'est un être mi- oiseau mi-faune. Aussitôt en dehors des cours Cesare ne s'habille plus qu'en noir, c'est sa couleur préférée. Il adore traîner ses oreilles partout, il est d'une discrétion totale et a l'art de se faire oublier. Il apparaît souvent là où on l'attend le moins. La nuit personne ne le voit. Certains l'ont surnommé 'il gatto nero' (le chat noir), et ceux qui ne font pas partie de notre équipe le craignent. En réalité c'est un garçon qui a un cœur d'or et est toujours prêt à voler au secours des plus faibles. Je suis heureux qu'il ait pris Gabriele sous son aile. Dans son travail il est d'une habileté étonnante. Dès qu'il a compris que je prenais la défense des boursiers et des plus jeunes, il m'a apporté un soutien indéfectible. L'admiration qu'il me porte fait le reste...
Une fois qu'on a pris nos places on commence à manger. Là c'est ma propre fatigue qui me joue des tours. Le réfectoire n'a pas changé. Il est toujours éclairé d'une façon aussi sinistre. Autant la nourriture de l'école est bonne à midi, autant celle de l'internat est mauvaise. J'ai un coup de cafard. Le souvenir de la tentative de viol me revient à la mémoire, comme un mauvais fantôme impossible à chasser. Quitter le luxe et la protection du palais n'est pas évident. Morgane me manque déjà cruellement, ma famille d'adoption aussi. Je n'aurai plus la natation pour me consoler: je nageais tous les jours au moins une demi-heure. Je ne veux pas pleurer, ici ils comptent tous sur moi. J'ai pourtant l'impression d'être le plus fragile d'entre nous après Gabriele. Je secoue la tête, relevant une mèche inexistante. Fabio, aussitôt alerté, pose gentiment sa main sur mon épaule:
- Il leoncino, j'ai encore quelque-chose à te montrer avant d'aller dormir. C'est une belle surprise spécialement préparée pour toi!
Après le repas je fais un speech de bienvenue à mon équipe, j'ai prévu un gentil petit mot pour chacun. Fabio, Akira et moi on traverse ensuite le jardin pour rejoindre l'ancienne piscine que je croyais en travaux. À mon grand étonnement Fabio en possède une clé d'entrée. Quand je vois le bassin je pousse un cri d'admiration: la restauration est superbe! Tout est réalisé dans des tons de bleu, au fond du bassin il y a deux dauphins en mosaïque qui sautent à travers un cerceau. L'éclairage est magnifique.
- Dès demain soir on pourra venir y nager après vingt heures, elle nous appartiendra rien qu'à nous trois!
- Ouah! Comment as-tu réussi à obtenir ce privilège?
Mon second rit:
- C'est un des mystères de Circé... Et Akira a un brevet de sauveteur, ce qui nous est fort utile. Sinon on n'aurait pas pu y nager sans surveillance. Ce soir le remplissage de la piscine doit s'achever.
Ensuite on se dirige vers notre studio. Dans le noir on croise deux garçons que je ne connais pas, ils sont habillés couleur muraille sombre et ont le même tatouage que Cesare. Je sursaute. Un troisième garçon les suit, on le voit en toute dernière minute car il est habillé tout de noir et sa démarche féline est totalement silencieuse. Je reconnais enfin Cesare. Il fait un signe de connivence à ses compagnons et ils le quittent pour s'éloigner dans la nuit. Cesare revient tout sourire avec nous. Décidément, c'est un vrai Florentin digne de la réputation de sa ville. J'ai toujours l'impression qu'il est en train de comploter quelque-chose. Il a parfois un air tellement mystérieux! Avec un léger air de reproche je lui demande:
- Où est Gabriele?
Cesare me fait son plus beau sourire:
- T'inquiètes, il est bien entouré, il est dans la salle de jeux. Il dispute des matchs de baby-foot. J'avais à faire. Maintenant je vais le chercher, il est temps qu'il aille dormir. Vous m'attendez?
- On t'accompagne, il nous faut des bouteilles d'eau.
On monte le grand escalier ensemble et on va dormir, demain on doit être en forme pour la rentrée...
- À nous trois on fera une chambrée formidable!
Fabio reprend la parole:
- La direction nous demande de désigner un chef de chambrée, il sera responsable de la tenue du studio.
- Tirons à la courte paille.
Je prends trois petits crayons de longueur différente:
- Le crayon le plus court désignera notre chef.
À notre grande joie c'est Fabio qui gagne. Les bagages d'Akira sont restés en bas, on va les chercher. En entrant dans le studio Akira enlève ses chaussures, on décide de l'imiter. Puis on range nos affaires et on fait notre lit. Fabio prend son rôle très au sérieux et veut montrer à Akira comment on fait un lit au carré, mais à son étonnement le garçon connaît déjà la méthode. Le règlement de l'internat est affiché sur la porte. Il nous est par exemple interdit de recevoir des filles dans notre chambre. Et on ne peut se rendre visite pour des devoirs ou des leçons qu'avant le repas du soir. Ensuite c'est le premier couvre-feu, on a encore le droit de sortir mais on ne peut se voir qu'en dehors des chambres, dans la bibliothèque, la salle d'études ou la salle de jeux. Le deuxième couvre-feu provoque l'extinction des lumières dans les couloirs et les locaux communautaires. Seul l'éclairage de secours reste allumé. La coutume veut que chaque chambrée édicte son propre complément de règles. Nous on préfère éviter d'en faire trop. Fabio propose deux règles supplémentaires:
- Après le repas du soir chacun devrait pouvoir se promener tout nu pour aller à la douche ou au lit, on ne devrait pas se gêner pour les deux autres. Qu'en pensez-vous?
Akira et moi on marque de suite notre accord, dans nos cultures à nous c'est tout à fait normal. Fabio, heureux d'être suivi, nous fait un grand sourire puis continue:
- Il est important de bien se reposer la nuit. Au deuxième coupe-feu, celui qui doit étudier plus tard devrait être prêt à entrer au lit sans devoir encore se changer ou se laver. En fait il faudrait qu'il devienne très silencieux. Certaines parois sont très légères, on entend tout!
Akira et moi on rit, Fabio a manifestement eu une très mauvaise expérience dans le passé. Je sais qu'il a besoin de beaucoup de sommeil. On marque de suite notre accord. Akira et moi on sait qu'on n'aura jamais besoin de ce temps supplémentaire d'étude. Fabio est visiblement soulagé de notre docilité.
- Vous voyez d'autres choses?
Akira prend la parole:
- Est-il possible de marquer la différence entre l'extérieur et l'intérieur du studio? On pourrait enlever nos souliers en entrant, prévoir une étagère à souliers et à pantoufles, les invités aussi seraient obligés de se déchausser?
C'est au tour de Fabio et de moi de sourire, en même temps on trouve cela une excellente idée. Fabio reprend la parole:
- J'adore cette idée, pour moi c'est adopté!
- Pour moi aussi!
Akira reprend:
- En fait j'évite aussi de me coucher sur mon lit avec des vêtements de ville quand les draps sont ouverts.
Fabio et moi on répond en chœur:
- Ah, toi aussi?
On a un fou-rire, on se découvre exactement sur la même longueur d'onde.
- Et toi, il leoncino, tu as aussi certainement l'un ou l'autre désir?
- Je propose qu'aucun visiteur ne soit autorisé à aller plus loin que la première salle. On ne peut quand-même pas faire entrer les filles. Imaginez qu'un de nous soit à poil pour prendre sa douche et qu'un invité vienne se pointer dans la petite salle?
On rit tous les trois, Akira et Fabio opinent dans un bel ensemble:
- Adopté! Pour éviter toute tergiversation de nos invités on va marquer tout cela en dessous du règlement général, il y a de l'espace libre prévu pour cela. On peut toujours modifier le règlement intérieur après discussion. Faisons-nous confiance. N'hésitons jamais à se parler. Tout se passera bien.
Akira reprend timidement:
- Dites... Ceci ne concerne plus les règles complémentaires... Vous voyez beaucoup d'utilité à cette petite pièce commune pendant le jour à part sa fonction première de sas? Le jour on étudiera dans la grande salle commune. Étudier sur un divan c'est pas le top. Celui qui veut réellement le faire parce-qu'il est fatigué peut utiliser son lit... C'est comme si on avait tapé un divan et une table pour remplir le sas. Moi je verrais bien ce sas comme un endroit où l'on peut se retrouver le soir en pyjama, un endroit de détente.
- Donc on ne s’assiérait pas non plus dans le divan avec des vêtements de jour?
- Oui, exactement. On aurait ainsi une claire séparation entre le local de jour et ceux de nuit.
- C'est une excellente idée! Qu'en penses-tu, il leoncino?
J'opine du bonnet avec un grand sourire. Fabio a l'air enthousiasmé, ce soir c'est un vrai boute-en-train! Je vais aussitôt l'embrasser sur la joue, je l'adore. Je n'ai plus envie de me gêner devant Akira, puisqu'on sera amené à se côtoyer tous les jours. Je dois avoir quand-même l'air un peu inquiet, car aussitôt Akira me fait un gentil clin d’œil, un grand sourire et tente de me rassurer:
- Vous êtes trop mignons tous les deux, j'envie votre complicité! Je suis vraiment heureux d'être avec vous.
En réponse Fabio et moi on va l'embrasser chacun sur une joue, il ne s'attendait pas à cela et semble visiblement ravi. Ensuite on se dirige vers le réfectoire pour le repas du soir. Je suis accueilli comme un prince par les internes de mon équipe.
Le réfectoire et la piscine
- Il leoncino, par ici! On t'a réservé deux places, pour toi et pour ton second!
Je ris:
- Il m'en faudrait trois. Je vous présente Akira. Il nous a fait l'honneur de rejoindre notre équipe, un hourra pour lui!
Les autres le reçoivent chaleureusement par plusieurs hourras et font de la place pour qu'il puisse s'asseoir à côté de moi. Akira est très ému. Ensuite je pense au plus jeune d'entre nous après moi, de loin le plus fragile de notre équipe:
- Où est Gabriele?
J'entends la voix de Cesare:
- Ici!
- Viens Gabriele.
Le garçon s'approche timidement, il est manifestement un peu triste. Il a un visage régulier encadré de boucles couleur blond paille, une petite bouche, ses yeux verts me font penser à ceux de Circé, ses sourcils sont fins et élégamment dessinés. C'est Cesare qui vient me le présenter.
- Qui loge dans ta chambre?
- Cesare. On est juste à côté du studio.
- Excellent. C'est le meilleur compagnon de chambre que tu puisses avoir. N'hésites jamais à faire appel à lui en cas de coup de cafard ou pour répéter tes leçons. Cette année on doit tous réussir, sans exception! De grandes choses nous attendent!
Tous saluent ces paroles par un hourra. Le garçon sourit faiblement.
- Merci il leoncino, je travaillerai de mon mieux.
- Tu vas voir, la rentrée se passera merveilleusement bien. On t'aidera tous.
Cette fois le sourire de Gabriele devient plus lumineux.
Une fois que Gabriele est retourné à sa place, je glisse un petit mot à l'oreille de Cesare:
- Cesare, je compte sur toi pour veiller sur notre Gabriele, il m'a l'air si triste ce soir. Surveille ses travaux théoriques, c'est le seul d'entre nous qui traîne un peu la patte. Je veux absolument qu'il réussisse, sa famille se saigne aux quatre veines pour lui.
- Compte sur moi, il leoncino. Je suis si heureux de te revoir, tu m'as manqué!
- Toi aussi, Cesare, tu m'as manqué...
On se donne une solide poignée de mains. Cesare est un de mes meilleurs soutiens après Fabio. Il a des cheveux couleur noir de jais, à peine bouclés, qui lui tombent jusqu'au bas du cou. Ses yeux sont gris bleuté, il a une silhouette élégante. Son visage est splendide. Ses sourcils et son nez sont gracieux, fins et réguliers. Sa lèvre supérieure est fine, sa lèvre inférieure est plus épaisse, ronde et sensuelle. Ses sourires en coin ont parfois un petit côté inquiétant à cause d'une cicatrice qui lui marque la joue gauche. Un joli petit tatouage noir très fin orne son épaule droite: il est fort étrange. Il représente un grand oiseau de nuit avec les ailes repliées, pourvu d'une tête de faune cornu. C'est un être mi- oiseau mi-faune. Aussitôt en dehors des cours Cesare ne s'habille plus qu'en noir, c'est sa couleur préférée. Il adore traîner ses oreilles partout, il est d'une discrétion totale et a l'art de se faire oublier. Il apparaît souvent là où on l'attend le moins. La nuit personne ne le voit. Certains l'ont surnommé 'il gatto nero' (le chat noir), et ceux qui ne font pas partie de notre équipe le craignent. En réalité c'est un garçon qui a un cœur d'or et est toujours prêt à voler au secours des plus faibles. Je suis heureux qu'il ait pris Gabriele sous son aile. Dans son travail il est d'une habileté étonnante. Dès qu'il a compris que je prenais la défense des boursiers et des plus jeunes, il m'a apporté un soutien indéfectible. L'admiration qu'il me porte fait le reste...
Une fois qu'on a pris nos places on commence à manger. Là c'est ma propre fatigue qui me joue des tours. Le réfectoire n'a pas changé. Il est toujours éclairé d'une façon aussi sinistre. Autant la nourriture de l'école est bonne à midi, autant celle de l'internat est mauvaise. J'ai un coup de cafard. Le souvenir de la tentative de viol me revient à la mémoire, comme un mauvais fantôme impossible à chasser. Quitter le luxe et la protection du palais n'est pas évident. Morgane me manque déjà cruellement, ma famille d'adoption aussi. Je n'aurai plus la natation pour me consoler: je nageais tous les jours au moins une demi-heure. Je ne veux pas pleurer, ici ils comptent tous sur moi. J'ai pourtant l'impression d'être le plus fragile d'entre nous après Gabriele. Je secoue la tête, relevant une mèche inexistante. Fabio, aussitôt alerté, pose gentiment sa main sur mon épaule:
- Il leoncino, j'ai encore quelque-chose à te montrer avant d'aller dormir. C'est une belle surprise spécialement préparée pour toi!
Après le repas je fais un speech de bienvenue à mon équipe, j'ai prévu un gentil petit mot pour chacun. Fabio, Akira et moi on traverse ensuite le jardin pour rejoindre l'ancienne piscine que je croyais en travaux. À mon grand étonnement Fabio en possède une clé d'entrée. Quand je vois le bassin je pousse un cri d'admiration: la restauration est superbe! Tout est réalisé dans des tons de bleu, au fond du bassin il y a deux dauphins en mosaïque qui sautent à travers un cerceau. L'éclairage est magnifique.
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| Il y a deux dauphins en mosaïque qui sautent à travers un cerceau... Photo © Eric Itschert. |
- Dès demain soir on pourra venir y nager après vingt heures, elle nous appartiendra rien qu'à nous trois!
- Ouah! Comment as-tu réussi à obtenir ce privilège?
Mon second rit:
- C'est un des mystères de Circé... Et Akira a un brevet de sauveteur, ce qui nous est fort utile. Sinon on n'aurait pas pu y nager sans surveillance. Ce soir le remplissage de la piscine doit s'achever.
Ensuite on se dirige vers notre studio. Dans le noir on croise deux garçons que je ne connais pas, ils sont habillés couleur muraille sombre et ont le même tatouage que Cesare. Je sursaute. Un troisième garçon les suit, on le voit en toute dernière minute car il est habillé tout de noir et sa démarche féline est totalement silencieuse. Je reconnais enfin Cesare. Il fait un signe de connivence à ses compagnons et ils le quittent pour s'éloigner dans la nuit. Cesare revient tout sourire avec nous. Décidément, c'est un vrai Florentin digne de la réputation de sa ville. J'ai toujours l'impression qu'il est en train de comploter quelque-chose. Il a parfois un air tellement mystérieux! Avec un léger air de reproche je lui demande:
- Où est Gabriele?
Cesare me fait son plus beau sourire:
- T'inquiètes, il est bien entouré, il est dans la salle de jeux. Il dispute des matchs de baby-foot. J'avais à faire. Maintenant je vais le chercher, il est temps qu'il aille dormir. Vous m'attendez?
- On t'accompagne, il nous faut des bouteilles d'eau.
On monte le grand escalier ensemble et on va dormir, demain on doit être en forme pour la rentrée...
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