16.32. Une leçon

Début de l'histoire...

Sven



Le lendemain matin on sort très joyeux du studio, le petit-déjeuner du samedi est toujours bien meilleur que celui en semaine. Cesare nous rejoint. On croise une femme à journée. Soudain j'ai un choc, je crois rêver: elle porte le même tatouage que Cesare. Fabio rajoute à mon trouble en faisant une constatation bizarre:

- Dis Cesare, je me trompe ou les deux dernières chambrées n'ont pas la même femme à journée que le reste de l'étage? L'une a des cheveux bruns et un chignon, la nôtre a des cheveux noirs...

Akira, toujours très logique, intervient:

- Peut-être que celle aux cheveux noirs nettoie aussi des étages supérieurs, et qu'elles se partagent ainsi le travail?
- Cesare? Est-ce exact? Réponds!

Cesare me fait discrètement signe de me taire et puis répond laconiquement: 
- Non. Celle aux cheveux noirs ne fait que ma chambrée et le studio. Je ne veux pas que n'importe qui puisse entrer dans nos chambres. Celle-ci je la connais au moins.

Akira rit:
- Encore une de tes conquêtes? Tu es incorrigible! Tu as su convaincre l'Ancien?

Je change de conversation, mais je me promets d'approfondir l'histoire une fois seul à seul avec Cesare.



Visite chez l'Ancien



Après le petit-déjeuner je me rends chez l'Ancien. Cesare, Akira et Fabio m'attendent devant la porte.

- Bonjour Maître, je suis vraiment désolé de vous déranger un samedi matin. Mais vous m'avez dit que quand je me poserais des questions à propos de l'école je pourrais venir vous en parler?
- Bien sûr il leoncino, et je te remercie de la confiance que tu me témoignes en venant ici. Non seulement tu ne me déranges jamais, mais tu viens quand tu veux! Avant que tu reprennes la parole, c'est à moi de présenter mes excuses.
- Vous, Maître? Pourquoi?
- Pour moi c'était évident qu'étant capo de ton équipe en classe tu serais automatiquement à la tête de ton cercle d'étudiants. Mais toi tu ne connais pas les usages des cercles. Tu es fâché sur moi?
- Maître, comment pourrais-je être fâché sur vous? Simplement il y a des choses que je ne comprends pas...

L'Ancien a un grand sourire, j'aime quand il me regarde avec autant de bienveillance. Je me sens en sécurité auprès de lui, chaque fois que je le vois je retrouve ma sérénité.

- Raconte-moi, tu as tout ton temps.
- Maître, qu'avons-nous besoin de vêtements de luxe? Notre vocation première n'est-elle pas d’œuvrer sur les chantiers avec des vêtements de travail? Ce n'est pas nous qui comptons, mais l'œuvre! Nous on est amenés à disparaître très vite, seule notre œuvre est destinée à résister un peu plus longtemps au temps et à la mort. Et pourquoi ces cercles? Travailler en équipe c'est suffisant, non?

L'Ancien rit:
- Je reconnais bien là ton austérité toute danskoise.
- Ces cercles risquent de nous éloigner de notre vocation première. Je n'aime ni les mondanités ni les colifichets.
- En soi tu n'as pas tort, il leoncino. Mais la raison d'être des cercles peut être considérée sous bien d'autres angles. Il y a encore beaucoup de choses que je dois t'apprendre. Que penses-tu de l'utilité de nos fêtes?
- Elles renforcent notre cohésion, elles sont des moments de détente après un travail attentif et elles marquent le temps?
- Exactement. Voudrais-tu les supprimer?
- Oh non, Maître!
- Tout d'abord, et en dehors des fonctions que tu connais déjà, les cercles ont la vocation de renforcer votre cohésion dans un cadre de beauté et de fête occasionnelle. Mais ils sont bien plus que cela! Tu dois savoir que chaque cercle est une carte de visite pour le monde extérieur. Comment crois-tu que tes condisciples trouveront du travail, sinon? Toi tu peux miser sur ta renommée, mais eux?
- Je voudrais essayer de ne jamais les abandonner, et de les amener avec moi dans mon sillage?
- Excellent. Et ne crois-tu pas qu'un cercle pourrait t'y aider? Regarde, j'ai préparé des anciens catalogues à propos de notre école, les cercles y ont une bonne place. Quand tu arriveras à la fin de tes études il n'y aura plus d'équipe. Un cercle permet de maintenir les relations entre vous, et de recréer des équipes en fonction du travail qui s'offrira. Il est votre lieu privilégié de contact et de rassemblement. Il est le moyen de créer des relations entre vous et les futurs commanditaires de travaux. Ce n'est pas tout! Beaucoup de familles et d'organisations prestigieuses, parmi ces dernières quelques banques, financent les cercles. Cela leur fait de la publicité. Quant à vous, les fonds permettent de vous soutenir lors de périodes de chômage entre deux chantiers ou lors d'un accident, et de payer des bourses pour les élèves de talent.
- Des banques? Ces spéculateurs sans morale ni éthique? Faut-il accepter leur argent sale?
- Il leoncino, tu devras apprendre à faire des concessions par rapport au monde extérieur. Sinon tu n'auras aucune commande. Si toi dans ton travail tu dois avoir une éthique rigoureuse, tu n'auras jamais aucun contrôle sur la provenance de l'argent de tes commanditaires, ni sur leur éthique. Donc oui, même l'argent injuste des banques tu dois l'accepter, pour en refaire quelque-chose de juste et de beau. Que de beauté a été créée à la Renaissance, sous des papes bien peu recommandables...
- Je n'avais pas vu les choses sous cet angle-là.
- Il leoncino, tu es beau et talentueux. Tu seras l'homme idéal pour prendre la tête de la Leonessa et nous représenter. Tu seras entouré de bons conseillers. Je voudrais que ceux de ton cercle soient bien visibles. Mettez les vêtements de votre cercle aussi souvent que possible, autant qu'ils servent! Nous avons l'école d'art la plus prestigieuse d'Europe. Parmi vos mécènes il y a la ville de Florence. Elle compte sur vous pour vous montrer à chaque fois que l'occasion se présentera.

Je souris en coin:
- Quitte à être photographiés par des touristes?
- Quitte à être photographiés par des touristes!
- Pourquoi on a des vêtements plus luxueux que ceux des autres cercles?
- Parce-que vous êtes l'élite de l'élite. Vous concernant l'argent afflue. Pour l'année prochaine il y a déjà le double d'élèves inscrits. On va devoir organiser un examen d'entrée pour sélectionner les plus talentueux. Il leoncino, loin de moi de te mettre encore plus de pression, mais on fonde de grands espoirs sur vous. Après tout tu dois commencer à t'habituer aux responsabilités, tu es l'héritier des Salvati, non?
- Maître, je dois vous avouer que gérer des domaines ne m'intéresse pas trop.
- Qu'est-ce qui t'intéresse alors?

J'ai le cri du cœur:
- Les responsabilités que vous me demanderez de prendre. Celles-là je les assumerai avec joie, même si cela me fait un peu peur. Mais je sais que je ne serai pas seul, vous êtes là et mes condisciples aussi. N'en dites rien à Circé, hein? Il n'y a que mon oncle qui peut savoir.

L'Ancien a un grand sourire. Mon élan l'a touché.
- Promis! Pourtant, dans deux ans, quand tu auras terminé ton stage je crois que c'est toi qui devras annoncer ton choix à Circé. Tu ne pourras plus louvoyer, tôt ou tard tu devras l'affronter. Quitte à occuper symboliquement cette si importante fonction d'héritier au palais. Heureusement on a bien assez de temps pour y penser. As-tu d'autres questions?
- Non Maître, j'espère être digne de la confiance que vous placez en moi.

L'Ancien ne peut s'empêcher de m'ébouriffer les cheveux.
- Ne t'en fais surtout pas pour cela. Jamais tu ne m'as déçu! Rentre chez toi maintenant, on doit t'attendre avec impatience. J'ai eu un coup de fil du palais, la voiture t'attend déjà Piazza dei Pitti. Tu ne devras même pas traverser l'Arno. Décidément, Circé veut à tout prix t'éviter de prendre le train, elle te traite comme un petit raja!

Je m'incline en riant devant l'Ancien et je prends congé de lui.



Piazza dei Pitti, Florence, Oltrarno,
La voiture t'attend déjà Piazza dei Pitti...




On sort de l'école, je porte juste un baluchon avec du linge sale. Akira me le pique avec la complicité de Fabio qui me chatouille:
- Laisse-moi le porter!
- Fabio, traître, attends que je t’attrape!

On court en riant. Finalement je parviens à attraper Fabio, mais il n'est pas aussi chatouilleux que moi. Après Fabio et moi on se raconte des blagues, il m'enlace l'épaule et moi sa taille. On pleure de rire. Cesare nous devance, l'air très sérieux, et Akira nous suit, avec un grand sourire. Arrivés à la Piazza dei Pitti, Morgane se rue dans mes bras.
- Mon ange, je t'attendais depuis tôt ce matin!
- Ils ne t'ont pas dit au palais?
- Si, mais j'ai préféré me promener dans la ville en t'attendant. Si on allait manger tous les cinq à la Schiaccia della Signoria? Ce restaurant n'est pas loin de la Piazza della Signoria. C'est moi qui offre!
- Hourra, vive Morgane!



Morgane



Fabio est bleu amoureux de Sven. Il est tellement mignon, il n'arrête pas de le regarder. Il lui fait goûter son plat, sa boisson, son dessert, tout est bon pour mélanger leurs salives. Sven se laisse faire comme un petit prince. Tantôt je les ai vus débouler riants et enlacés sur la place. Je ne sais pas qui est le plus enviable: moi qui ne voit mon ange que toutes les deux semaines mais qui peut lui faire l'amour, ou Fabio qui le voit tous les jours et développe une amitié particulièrement forte avec lui... Parfois je m'en veux d'être un peu jalouse de leur belle amitié. Circé m'a tranquillisée:

- Tu as simplement envie d'être aussi avec lui à des moments pareils. Tu en veux à Fabio?
- Absolument pas! Je désire que leur amitié fleurisse, mais en même temps l'absence de mon ange me fait terriblement mal.
- Fais des exercices de méditation pour évacuer ce poison qu'est l'envie, mais t'en vouloir ne sert à rien, au contraire!

Je me console en me disant que tantôt je retrouverai mon amant pour moi toute seule.


Une fois rentrés au palais on se prépare pour la sieste. On jette fébrilement nos vêtements à terre. Enfin nus on tombe dans les bras l'un de l'autre, et je supplie mon ange:
- C'est à mon tour. C'est toi qui dois te laisser faire. S'il te plaît?

Sven est impressionné par mon air si sérieux, et il dit avec un sourire trop craquant:
- Bon, d'accord, je vois qu'il y a urgence. C'est toi qui ouvres le feu. Comment dois-je me mettre?
- Allonge-toi sur le dos et ferme tes yeux, dans un premier stade tu dois juste profiter de mes caresses. Mon Dieu, comme tu as maigri! On voit toutes tes côtes!
- On les voit toujours, non? C'est le stress du début de l'année scolaire, mais tout va bien maintenant, rassure-toi...
- Ton ventre est creusé, tu manges assez?
- Mais oui, attends ce soir après le dîner, tu verras s'il est encore aussi plat.

Je le caresse délicatement sur son beau ventre, puis je lui donne des bisous partout. Je hume son odeur, je veux en imprégner mes souvenirs pour deux semaines.
- Mon Sven adoré, tu es sûr que tout va bien? Tu ne me caches rien cette fois?
- Non, je te le promets! Tu sais, j'ai l'impression que Circé m'a mis sous garde rapprochée: que mon second me suive c'est normal, mais Akira et Cesare ne me quittent pas d'une semelle non plus!
- Il faudra t'y habituer. Arrête de te poser des questions, et dis-toi simplement qu'eux aussi t'aiment bien... Oh Sven, je suis folle de toi!
- Moi aussi de toi...
- Écarte bien les jambes...

Ensuite on profite longuement de nos retrouvailles, on n'a plus envie du tout de parler. Finalement je me dis que ma position est plus enviable que celle de Fabio. En reprenant le train demain soir je sais déjà que je penserai juste l'inverse. Je m'empale sur Sven, le garçon gémit, un bras cachant ses yeux. J'aime tellement l'entendre gémir, cela me rend encore plus folle...



Les préparatifs du mariage de Circé et de Lorenzo vont bon train. Le soir au dîner on ne parle plus que de cela. Demain matin Sven fera le tour d'un domaine jouxtant le nôtre avec père: c'est celui de Lorenzo, il va rejoindre notre patrimoine. Des ouvriers sont déjà en train de déplacer les bornes-frontières. Une grue est venue spécialement de Florence pour changer également de place les gigantesques lions. Le domaine de Circé s'agrandit...









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