16.50. La vie d'étudiant

Début de l'histoire...






L'Ancien nous souhaite la bienvenue. Il nous fait un résumé de la situation politique et des nouveaux décrets de la ville. Il nous est interdit de sortir en période de couvre-feu sans raison valable et sans laisser-passer. Cela ne nous change guère des règlements de l'école, sauf qu'une infraction peut nous couter bien plus cher! Ensuite l'Ancien nous donne le programme du trimestre, et il est très chargé. On partagera notre temps entre les cours théoriques et les fresques dans la chapelle. 

Le soir je ne peux pas nager avec les autres, alors j'en profite pour étudier. Le mercredi je rédige mon courrier. Morgane me manque. Tant pis si ma lettre ne lui arrivera que dans deux jours… 


"Ma Morgane adorée, 

Les fresques avancent bien, on travaille d'arrache-pied. Pourtant lors du congé des émissaires de la ville sont venus réquisitionner un de nos échafaudages pour la restauration des murailles de Florence. C'est le seul échafaudage métallique qu'on a, les deux autres ont échappé à la réquisition car ils sont en bois et plus difficiles à démonter et à remonter. Après bien des tractations, l'école a reçu la permission de se servir de bambous dans le jardin des plantes et dans le grand parc à l'ouest de la ville. C'est une idée géniale d'Akira, ce garçon a plein de ressources cachées et il n'a pas chômé! Dans notre club d'auto-défense il y a un élève originaire de Hong Kong. Il a été Maître échafaudeur et Akira l'a fait venir pour nous apprendre comment monter des échafaudages en bambous. Je comprends enfin pourquoi Akira était si pressé de rentrer à Florence! Quand on est arrivés lundi les bambous étaient prêts, triés par diamètre et égalisés en longueur. Depuis la rentrée on a droit à des visites répétées, non seulement des professeurs de notre école, mais aussi d'ingénieurs florentins qui prennent plein de notes sur cet ingénieux mode opératoire asiatique. On a même reçu des plans du consulat de Chine, en anglais! Akira connait lui aussi cette technique, qu'il a apprise dans son école au Japon. A mon avis, le sujet de son mémoire de fin d'année est tout tracé! L'Ancien est aux anges, il a reçu des félicitations du Grand Conseil de la ville pour notre savoir-faire technique. La méthode pourrait être utilisée dans un avenir pas trop lointain lors de la restauration des murs et des fortifications de Florence. En attendant la ville a décidé de faire pousser une forêt de bambous au sud des murs. On a tout intérêt à se faire bien voir, en ces temps troublés il y a d'autres priorités que d'embellir nos édifices. Bernardo râle, il comprend enfin la lourde erreur qu'il a faite en n'acceptant pas Akira dans son équipe. 

Akira nous apprend bien d'autres choses encore: il nous a montré sur un mur du réfectoire nouveau comment réaliser une fresque sans poncifs, uniquement avec des repères et des tracés. Mais cela demande une maîtrise parfaite du dessin, et seul Fabio et moi avons relevé le défi avec brio. La cote d'Akira est au plus haut, il est troisième de classe et désormais on l'appelle le Jeune Dragon. Pourtant les professeurs préfèrent notre méthode florentine, plus lente mais plus élaborée. Le revers de la médaille de la méthode d'Akira, c'est que les peintures sont plus conventionnelles car très codées. En attendant Fabio et moi on est toujours en tête du classement, et pour notre équipe c'est l'idéal car elle cartonne! Je suis heureux, car il est vital que les boursiers réussissent. On cache soigneusement notre travail par des bâches, on veut produire un effet de surprise une fois les fresques terminées. 

Je suppose que tu as des nouvelles du Palais par babbo. Je ne t'en donnerai donc pas. Ici à Florence tout est calme, la Garde Civile est omniprésente et je crois que nous sommes encore mieux protégés qu'au Palais! Sans compter la protection discrète mais efficace de la faction de Circé. Tu ne dois donc absolument rien craindre pour moi. Concernant la nourriture il ne faut pas écouter les rumeurs, nous sommes bien approvisionnés. La gestion du flux de réfugiés se fait avec ordre, ils ne doivent pas trop attendre avant d'avoir un toit. J'admire cette solidarité si précieuse. La seule chose que je n'aime pas, c'est tous ces bruits de bottes. Quelle différence avec cet été! Les touristes se font très rares, ce qui nuit au commerce de la ville. 

Autre chose m'inquiète, il est question que la ville réquisitionne des élèves de seconde pour leurs fichus travaux de restauration des murailles. Pourquoi ne se contentent-ils pas des fossés et des clôtures en fil de fer barbelé? L'Ancien bataille ferme pour que la ville abandonne ce projet d'aide, ils n'avaient qu'à les entretenir un peu mieux, leurs fortifications! Bien sûr on a beaucoup de main d'œuvre grâce à l'afflux des réfugiés de la campagne, mais nous, élèves fresquistes, sommes considérés comme des ouvriers qualifiés. Pourtant on n'a pas encore terminé nos études. Et puis quelle sottise, nos connaissances en maçonnerie sont tellement limitées! Ceux de l'école d'Architecture des quatrième et cinquième années ont tous été réquisitionnés, ils risquent de perdre une année et c'est une catastrophe pour les boursiers! Dans notre classe nous ne sommes pas inquiétés, je suppose qu'on doit cette faveur à la puissante famille d'Enzo. Cette dernière a plusieurs membres siégeant au Grand Conseil de la ville. L'Ancien nous a pourtant conseillé de ne pas avancer trop vite dans nos peintures. L'évêché, lui, s'énerve et rappelle régulièrement à la ville ses engagements concernant la chapelle San Antonio. Pour faire durer encore plus les travaux, l'Ancien a proposé à l'évêque de refaire aussi le plafond. Je crois que ce dernier ne résistera pas à la tentation, à part le matériel cela ne lui coutera pas un sou. Une vraie œuvre de Pénélope! En attendant cela nous permettrait d'occuper ceux de deuxième à la réalisation de nouveaux échafaudages et à la préparation des peintures! Cela me fendrait le cœur de les voir partir perdre leur temps sur les fortifications. On n'a pas le droit de briser leurs rêves, fut-ce le temps d'une année! 

Samedi je t'attendrai de pied ferme à la gare, babbo a eu cette étrange idée de nous faire voyager en train blindé. Notre gentil Fabio nous accompagnera, mais il devra rentrer samedi soir pour voir ses parents et pour étudier. Moi heureusement je serai à jour. 

Tu me manques, bisous très doux de ton 

Sven. " 

J'ai à peine fermé la lettre que Fabio et Akira sont de retour. Je cours les embrasser, puis je me serre dans les bras de Fabio. J'aime son odeur de chlore. Akira rit: 

- Une partie d'échecs? 



La première réunion plénière de la Confrérie 



Le jeudi soir nous avons enfin notre première réunion plénière de la Confrérie des Cercles de l'École d'Art de Florence. Je réalise à quel point l'empressement de l'Ancien à donner la première place à la Leonessa est judicieux. Cesare, Akira, Fabio et moi attrapons un fou-rire en voyant le nouvel uniforme des autres Cercles. Cesare me fait un clin d'œil complice. 
- Cesare, c'est toi qui leur as transmis les patrons de nos tenues? Quels copieurs! 

Davide intervient, pour couvrir Cesare: 
- C'est moi, aussitôt les vôtres commandés. Cela les a encore un peu retardés. 

Puis c'est Cesare qui intervient, et je trouve leur complicité trop mignonne: 
- Sur mon ordre, j'en prends l'entière responsabilité. 

Ils s'attendent manifestement à un savon de ma part. Je leur fais un grand sourire: 
- C'est une excellente initiative de votre part. Au moins on ne pourra pas nous reprocher d'avoir voulu les surpasser sur ce coup-là. Un grand merci à tous les deux! 

Aussitôt je vois leurs figures changer, ils sont soulagés et heureux. Cesare ne dit rien, notre complicité est déjà trop grande, mais Davide rajoute à voix suffisamment basse pour que je sois le seul à l'entendre: 
- Je savais bien que tu réagirais comme cela. Lionceau, je t'adore! Si tu n'existais pas il aurait fallu t'inventer… Je suis tellement heureux de t'avoir comme capo!
- Davide, cette estime est réciproque! Dites, les couleurs qu'ils ont choisies ne sont-elles pas un peu trop voyantes? 

Nous avons à nouveau un fou-rire. Cesare reprend la parole:
- Le seul vrai aristocrate c'est toi, les autres n'en portent que le titre. Leur uniforme n'est la copie du nôtre qu'en apparence. Ils ne portent pas de brocart d'or, ni aux poignets ni sur leur chapeau. Il n'y a que leurs chefs et leurs seconds qui portent les ailes, ils ont suivi la Grande Initiation. Les étoffes de leur veste et de leur cape est différente de la nôtre. En fait de loin notre uniforme d'hiver est discret, ce n'est qu'en se rapprochant qu'on en voit son raffinement et son luxe. D'accord, chaque cercle était obligé de composer avec les couleurs qu'il a reçues. La Fiorentina s'en sort très honorablement, leurs étoffes sont naturelles, le blanc est de couleur écrue et le rouge est sombre. Mais je ne sais pas ce qui a pris Bernardo: le vert et le rouge de leurs tenues sont beaucoup trop vifs. De prime abord on ne voit qu'eux… 

Davide ne parvient pas d'arrêter de rire:
- Du vert de vessie et du rouge vermillon! On dirait des perroquets, heureusement qu'aujourd'hui on ne porte pas de plumes! 

Je rougis: 
- Chchcht Davide! En attendant Fabio et moi on est les seuls à porter des brandebourgs, je m'en serais bien passé! 

Davide et Cesare se regardent, un peu gênés. Je ris: 
- Qu'est-ce que vous avez encore manigancés? Crachez le morceau! 
- Euh… Ce n'est pas nous, c'est l'Ancien… On comptait te le dire…





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