16.59. Au-delà de la borne-statue

Début de l'histoire...



Histoires de faunes, hippies, adolescent, amour vainqueur, couple, rires,
Là parfois des rires très excités se cachent...
 Illustration © Eric Itschert



La promenade est maintenant cachée par des arbres. Et puis on dépasse une des fameuses bornes-statues. Mon bien-aimé retrouve le sourire :
- Tu vas voir, tu vas vraiment aimer !

On longe des jardins odorants avec des maisons blanches et basses, de style colonial, parcourues par une véranda en bois, ornées de colonnes rondes ou octogonales, et couvertes de grands toits aux tuiles rouges. Voir leurs occupants est un régal pour les yeux. Ils paressent entièrement nus sur des hamacs, d’autres sont étendus sur des nattes, dorment, s’étirent, discutent accroupis sur un vieux coffre ou boivent du thé froid et des limonades assis sur des sièges en osier et des coussins colorés. Il y en a qui font du yoga, toujours entièrement nus, et le mouvement de leurs muscles orné de transpiration souligne la plastique de leur corps. Bien qu’incongrues, les habitations sont parfaitement intégrées au paysage. De temps en temps des maisons plus grandes apparaissent à la lumière du soleil. Elles ont des terrasses bordées de colonnades blanches. On y entend des voix, des bruits de vaisselle, des rires, des chants, de la flûte de Pan et de la guitare. Il y a des bougainvilliers, là parfois des rires très excités se cachent. De temps en temps il y a de petites échoppes, l’un ou l’autre poste de premiers soins avec des auvents abritant des sanitaires et des douches, toujours entourés par des colonnades blanches. Un couple gémit sous une douche : ils sont en train de faire l’amour et cela nous donne encore plus envie. Des odeurs de feux de bois alternent avec celles de poissons, ici sur l’île on ne mange pas de viande, ou rarement. Deux filles sortent d’une maison, traversent la promenade, et se poursuivent en riant comme des enfants. Elles vont se précipiter dans la mer, il fait encore très chaud. Ce « peuple superbe » comme il se nomme lui-même a la beauté de son âge : beaucoup d’enfants fleurs sont étudiants, et la plupart d’entre eux ont entre dix-huit et trente ans. 

Arrivés à une portion inhabitée de la promenade, on en profite pour s’arrêter un instant. On se colle langoureusement l’un contre l’autre pour s’embrasser...


[ Censuré. Lorenzo et Circé se caressent, quand un îlien venu de nulle part se plante devant eux pour les observer en se touchant. Le couple est plutôt désarçonné. Finalement le garçon leur demande un bisou. ]


Lorenzo détache une pièce octogonale de son collier, et la lui donne :

- Et puis quoi encore ? Tu ne nous as même pas demandé la permission ! Va à la buvette prendre une limonade glacée pour reprendre des forces, et fais attention à toi ! File maintenant !

- Tu m’as donné beaucoup trop !

- Prends deux verres alors ! Il fait tellement chaud…

- Merci, je vous revaudrai cela ! 


Le garçon s’en va en chantant, il a l’air heureux et c’est déjà cela… Moi je suis émue par la gentillesse de Lorenzo, c’est plus fort que lui ! Que ce soit lui ou Sven, ils sont toujours compatissants envers les autres. Je crois que c’est pour cela aussi que je les aime tellement… Leur présence m’a rendue meilleure.

- Viens mon amour, on va voir la plage !

On réussit à trouver un endroit caché entre deux barques de pêcheur. Je me couche sur le dos en riant, il y a cette délicieuse sensation de mon corps nu s’enfonçant dans le sable chaud. 


[ Censuré. Le couple en profite pour achever leur élan interrompu. ]


Ensuite on court sur la plage blanche irradiée de soleil, on plonge dans la mer pour y nager et y jouer. On se laisse drosser par les vagues, elles nous roulent comme des galets. L’eau est tiède, parfois un peu trop peut-être, à cet endroit la mer n’est pas profonde. Le cri des mouettes nous accompagnent, au loin des pêcheurs halent leurs lourds filets sur la plage. Les poissons qui échappent à la prison des mailles appartiennent aux enfants fleurs, ici c’est la coutume. Une nuée de jeunes se disputent avec les mouettes pour récupérer la manne, ils sont bien organisés. Certains courent en cercle concentriques autour des filets pendant que d’autres ramassent les poissons, ensuite ils se partagent le butin. Un couple arrive trop tard, un pêcheur compatissant leur offre un magnifique crabe. Le vent sèche nos corps nus en les caressant. D’autres enfants fleurs viennent nous rejoindre avec un ballon pour jouer avec nous dans les vagues. Ils sont superbes, je crois que nous aussi on leur plait beaucoup. 

Un jeune homme s’est pris de sympathie pour Lorenzo, ils luttent tous les deux les pieds dans l’eau. La chorégraphie de leur combat est splendide. Le miroir de l’eau et le soleil couchant servent de toile de fond, et l’eau sculpte leurs corps nus d’étincelles solaires. L’adversaire de Lorenzo est plus musclé et plus grand que lui, pourtant il fait durer leur jeu. Lorenzo compense sa fragilité par une agilité incroyable, il fait des cabrioles et de rapides poiriers pour se retrouver à un endroit où son adversaire ne l’attendait pas. Leurs rires sont communicatifs. On s’est tous assis pour les admirer, parfois on rit avec eux, à d’autres moments on applaudit et on crie de joie, enthousiasmés par le spectacle. À la fin c’est devenu une vraie danse, ils jouent, ils esquivent, ils attaquent. De temps en temps l’adversaire emprisonne mon amant, le temps de l’embrasser sur la joue, et quand il lâche Lorenzo pour reprendre le combat il est à l’état de faune. Plusieurs spectateurs nous rejoignent pour s’asseoir à coté de nous. Un garçon a apporté une flûte de pan et joue, illustrant leur lutte. Puis des tambourins suivent, rythmant une danse devenue sacrée. Une fille finit par se toucher, trop excitée par ce qu’elle voit, son geste est vu comme tout à fait naturel et je trouve cela merveilleux. Je pense qu’il n’y a aucune commune mesure entre ce garçon timide aux yeux tristes que j’ai vu en photo, et ce jeune éphèbe si lumineux qui est devenu mon compagnon de vie. L’adversaire finit par rompre le combat, alors c’est Lorenzo qui est déclaré vainqueur. On hurle, on crie, on trépigne, on applaudit. Lorenzo et son adversaire se dirigent vers moi, les yeux de Lorenzo sourient comme ils l’ont rarement fait. L’autre l’enlace, lui fait plein de compliments, et de temps en temps l’embrasse sur la joue. Le bonheur me submerge : Lorenzo a quitté cette île en chrysalide, il y est revenu en papillon flamboyant. Et c’est l’amour des Salvati qui l’a transformé. Lorenzo me fait un sourire jusqu’aux oreilles, je me jette dans ses bras :

- Oh Lorenzo, je t’aime tellement !

Ce soir on peut fêter l’Amour Vainqueur…

L’adversaire de Lorenzo s’appelle François, il est français et parle l’italien avec un accent à couper au couteau. Lui et ses compagnons nous invitent à manger. Ils disent qu’un aussi beau spectacle vaut bien une récompense, en oubliant que François y est pour la moitié. Deux filles rajoutent que jamais de leur vie elles n’ont vu quelque-chose de pareil. Comme la plupart des gens sur cette île ils connaissent tous l’italien. La nuit tombe, et partout les maisons s’illuminent grâce à des lampes à pétrole ou à des bougies. Il n’y a que le bourg et la forteresse qui sont raccordés à l’électricité. On pénètre dans un jardin par une petite porte, et on est accueillis par toute une communauté. Dans leur maison les murs sont chaulés et recouverts de magnifiques tissus aux motifs colorés, certains motifs sont floraux mais d’autres représentent des divinités hindous ou des figures érotiques. Il y a une longue table basse qui croule de nourriture, des nattes et plein de coussins bariolés autour. Il y a des bougies partout. Au bout de la table est assis un homme bien plus âgé que les autres, avec une grande barbe blanche. Son visage et son corps parcheminé sont splendides. Je comprends vite que c’est lui et sa femme qui dirigent la communauté. J’aime sa voix, elle est bienveillante:

- Quels magnifiques oiseaux vous nous amenez là, les jeunes ! On va les bichonner, afin qu’ils reviennent…



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