16.42. La tendresse de Fabio


La tendresse de Fabio




Je ne veux pas recevoir Fabio derrière un bureau. Je ne veux pas de distance entre lui et moi. Pas maintenant. Il y a un grand divan dans la pièce, je m'y assieds dans un coin. Quand Fabio entre, je me lève et je cours vers lui. Je le serre très fort dans mes bras. Je cale ma tête dans son cou et lui murmure:

- Tu m'as sauvé la vie. C'est la deuxième fois que tu me sauves. Je t'en suis infiniment reconnaissant. Que faire maintenant?

Fabio répond d’une voix rieuse :
- Absolument rien, Lionceau! On fait tout comme avant. Croire que tu me devrais quelque-chose serait m'offenser et te dévaluer. Ta vie n'a pas de prix!
- Fabio, je t'aime tellement! C'est parfois si fort que mon cœur me fait mal…
- Chhht Lionceau. Je le sais, car j'éprouve la même-chose pour toi. C'est un sentiment qui nous dépasse tous les deux. Alors ne dis plus rien. Te serrer dans mes bras, c'est le bonheur absolu, te voir c'est ma plus belle récompense…

On reste longtemps dans les bras l'un de l'autre. Fabio me donne plein de bisous mais cette fois je les lui rends avec fouge. Il rit:
- Notre Lionceau a mangé du lion, ma parole! J’aime quand tu es comme cela…

Je romps l'enchantement et je tape sur un coussin du divan:
- Viens, assieds-toi ici. Je sais que tu apprécies la limonade de cassis, je nous en ai fait préparer avec des fruits du domaine.

J'enlève mes chaussures, je m'assieds avec mes jambes relevées contre moi à l'autre bout du divan. Je prends mon verre et lance:
- À ta santé! Comment avancent les travaux de la boulangerie-pâtisserie familiale?
- Bien, les travaux dans le magasin ont commencé. On restaurera le corps de logis à l'étage une fois l'argent de la vente de l'ancien magasin récupéré.
- Circé t'offre l'internat pour que tu puisses rester avec moi, tes parents ont accepté. C'est mieux que de loger dans une chambre en ville, les temps sont actuellement tellement incertains…
- C'est ta visite à toi qui les a décidés. Encore des pauvres victimes de ton charme implacable, je suppose… Je vous dois tellement…
- Tu rigoles, là?
- Euh je n'ai rien dit.

On rit tous les deux. Mais très vite je redeviens songeur.
- Lionceau, qu'est-ce qui se passe? Il y a des moments où tu m'as l'air tellement sérieux! Attends, laisse-moi deviner. Cesare est parti d'ici transfiguré et allégé, il baignait dans le bonheur. Et toi tu t'es chargé de son poids, c'est cela?
- Cesare m'a dit que parfois tu pleurais à cause de moi?
- Il remplit bien sa tâche, mais des fois il devrait vraiment se mêler de ses affaires, celui-là.
- Je n'aime pas te faire pleurer! Ce n'est pas juste!
- Lionceau, c'est la rançon de la passion. J'accepte d'être malheureux quelquefois pour connaître ce bonheur si intense pendant le reste du temps. Et les moments où je suis heureux dépassent largement ceux où je suis triste. La vie est comme un encéphalogramme: il y a des hauts et des bas. Le jour où l'on n'éprouve plus rien on est mort, c'est l'encéphalogramme plat. Rien de beau n’est séparable de la vie. Tu sais comme moi que la vie est tantôt éveil et tantôt sommeil, tantôt présence et tantôt absence, en particulier de celui ou celle qu’on chérit le plus. La fusion permanente avec l’être aimé est impossible, elle n’est pas vivable. Je suis catholique. Pour moi, une passion est un magnifique cadeau de Dieu. Après c'est à nous de la développer en amour véritable. C'est à nous d'en être digne. Dès le moment où je t'ai vu je ne vivais plus réellement que pendant les heures où j'étais avec toi. Ta voix d'adolescent, je la reconnaissais entre mille. Elle me faisait chaque fois tressaillir de bonheur et aussitôt je recherchais ta gracieuse et fine silhouette des yeux. Quand tu marchais, je compris ce que signifiait l'expression poésie du mouvement, je croyais voir la magnificence d'un tout jeune elfe se déplaçant dans la forêt.
Tu es le plus élégant et le plus merveilleux adolescent que j'ai jamais admiré de ma vie. Dès le premier jour tu as fait chavirer mon cœur. L’évidence était là, fulgurante : notre rencontre était prévue de toute éternité, et nos âmes étaient prédestinées l’une à l’autre. Quand je te vois, je comprends ce qu'a dû être l'androgyne à l'origine du monde, avant sa séparation en homme et en femme, quand le Créateur l'a fait à son image. Tu es d'une beauté irrésistible, irréelle, angélique, face à toi je perds tous mes moyens…

Je souris :
- Cesare et Circé m’ont dit la même chose : en ma présence ils perdent tous leurs moyens… Vous êtes des êtres bizarres quand-même, comment un frêle adolescent peut-il vous faire perdre tous vos moyens ? Tu es bien plus beau que moi, tu as atteint l’âge où l’on devient un homme ! Circé est une femme splendide, d’une grâce infinie dans son corps de femme. Moi je suis encore dans les formes incertaines de l’androgyne…

Fabio continue, comme si de rien n’était :
- En t'admirant lors des séances de pauses, j'ai définitivement cru en la Transcendance car je touchais enfin à l'absolu. Tu te dressais sur le podium, solitaire et fragile parce-que entièrement nu alors que nous étions tous habillés, dans le rayonnement si pur de ta jeunesse. Quel splendide corps Dieu t'a donné! Tu es une œuvre d'art vivante, ta beauté est une injure à toute vraisemblance. Quand ton lingam se dressait de plus en plus long et volumineux, j'ai été le bourreau de mon propre désir en te couvrant. On dit qu'il faut tuer ses passions. C'est comme s'il fallait tuer un étalon parce qu'il est sauvage. C'est une grave erreur. Domestiquer ma passion pour toi fut ma plus grande épreuve, mais aussi une de mes plus magnifiques victoires. C'est mon plus beau témoignage d'amour pour toi. Alors oui, Lionceau, des fois j'ai difficile et parfois je pleure. Mais chaque jour je bénis le matin lumineux où je t'ai rencontré pour la première fois. Haha, tu es rouge comme une pivoine, tu es trop mignon comme ça!
- Tu viens de me faire une splendide déclaration d'amour, ou je me trompe? Il y a vraiment de quoi rougir…
Fabio? …
- Dis-moi, est-ce si difficile de me confier ce que tu as envie de me dire?
- Ne te fâche pas, s'il te plaît?

Fabio vient s'asseoir à terre près de moi et lève vers moi son beau visage. Il m'enlace, et je sens dans la tendresse de son regard un refuge inviolable où il n'y a plus de place que pour nous deux. D'une voix très douce il reprend:
- Comment pourrais-je jamais être fâché contre toi? Vas-y, lance-toi à l'eau.
- Tout ce qu'on dit maintenant doit rester un secret entre nous, d’accord ?
- Bien sûr, Lionceau, cela va de soi! Je t'aime, arrête d'avoir peur!
- As-tu déjà fait l'amour?
- Non, je suis vierge et je n'ai envie de le faire avec personne sauf avec toi. Donc je resterai encore vierge pendant un bon petit temps je suppose. Je m'y suis fait et je n'en éprouve plus aucune tristesse. Il n’y a que quand je suis loin de toi qu’il m’arrive d’être triste. Akira dit souvent que ce n'est que quand on cesse de les espérer que les choses arrivent…
- Moi j'ai déjà fait l'amour avec Morgane, mais jamais avec un garçon. Que Morgane soit mon amante doit rester secret. Et Morgane n'est ni ma sœur ni ma jumelle.
- Tu m'en as déjà parlé.
- Je veux garder ma fleur vierge. Jamais je ne jouerai le rôle d'une fille, cela m'est interdit. C'est un tabou absolu dans nos familles nobles, que l'on soit destiné à gouverner ou non. De toute façon j'ai ma fierté de petit mâle.
- Lionceau, à quoi tu penses!
- Ah, tu vois, tu n'es pas content.
- Tu te trompes. Je suis très heureux qu'on puisse aborder en toute confiance des choses aussi intimes. Mais tu te fais de fausses idées sur les garçons qui aiment les garçons. Tous n'ont pas le désir de prendre la fleur de l'autre, ni de se la faire prendre. Et moi, même si ce désir m'effleure parfois, pourquoi te le cacher, je n'imagine pas un seul instant te prendre ta fleur. Peut-on prendre la fleur d’un ange sans toucher à sa nature ? Mais entre garçons on peut exprimer son amour de plein d'autres façons. Je sais qu'il y en a qui ne jurent que par ce type d'échange, c'est leur vie et leur inclination, il n'y a pas à en discuter. Chacun est fait autrement et ressent les choses différemment, c’est la richesse et la beauté de la vie. Mais ne les crois pas quand ils te disent que c'est l'unique façon d'avoir une vraie relation entre garçons. C'est un mensonge, et c'est le début d'un viol, le viol de la conscience de celui à qui ils disent cela…

Je pousse un grand soupir de soulagement.
- Si les filles me troublent, les garçons aussi peuvent me troubler parfois. Très fort. Cela me déstabilise. Alors je ne sais plus où j'en suis, et j'en suis complètement déboussolé. Quand je dis 'les garçons', je devrais plutôt dire ‘un garçon en particulier’. C'est de toi que je parle… Et comme je sais que tu es très amoureux de moi, cela me trouble encore plus !
- Dois-je prendre cela comme une timide réponse à ma déclaration?
- Oui. Moi aussi tu me donnes très envie. Dès le premier jour où on s'est rencontré à l'école j’ai recherché ta présence. J’étais tellement heureux que tu deviennes mon ami ! Mais ensuite la fragile frontière entre amitié et amour est devenue de plus en plus tenue. Moi aussi j'aime t'admirer lorsque tu poses. J’aimerais avoir un corps aussi splendide que le tien et avoir ton âge. Moi aussi j’adore sentir ton odeur. J’aime tellement quand, lors de mes parties d’échecs avec Akira, tu viens derrière moi pour te frotter amoureusement contre moi. J’aime sentir ton souffle ému dans mon oreille. On portait des shorts de pyjama, cela me rassurait. Simplement jusqu'ici je n'ai jamais voulu te dire mon émoi. Je ne suis pas sûr de moi, tout va trop vite. Amoureux de toi sans vouloir me l’avouer, en même temps je suis amoureux fou de Morgane. Peut-on être amoureux de deux personnes à la fois? Jusqu'ici j'étais persuadé du contraire, cela heurtait toutes mes convictions. J'avais aussi très peur que tu me demandes de posséder ma fleur si je te livrais mon désarroi. Et puis je ne veux pas risquer de perdre notre amitié, jamais ! Quand je suis avec toi je me sens tellement bien… Je me sens protégé et aimé. Et maintenant je te dois la vie… Je suis terrorisé à l’idée qu’une expérience sexuelle avec toi puisse changer nos rapports, je ne veux pas courir le risque de gâcher notre amitié qui m’est aussi nécessaire que l’air que je respire. La monogamie est tellement plus simple… Déjà au palais ils me demandent une chose avec laquelle je vais avoir très difficile…
- Wouaaaw ! Quelle belle confession ! Et voilà que tu rougis encore ! Mon Lionceau adoré, l’amour que j’ai pour toi est sans conditions, il est illimité, et il est infiniment patient. Jamais je n’ai eu le désir de te capturer. La beauté ne peut s’emprisonner sous peine de s’étioler. Au plus j’ai affiné mon amour pour toi, au plus ma convoitise a fait place au plus pur émerveillement devant le mystère infini qu’était ton existence. Si un jour on n’a plus d’autre moyen pour exprimer notre tendresse que notre sexe, crois-tu un instant qu’il pourrait nous emprisonner ? Tu doutes encore de notre amour l’un pour l’autre ? Crois-tu réellement qu’il serait mis en danger si on se permettait un jour d’aller plus loin ?
- Non… tu as raison… Mais il fallait qu’on en parle d’abord, que je te dise mes limites. Tu sais, dans deux ans je retourne en Guelbie. Qu’adviendra-t-il alors de nous ?
- J’ai confiance. Toi aussi tu devrais avoir un peu plus confiance en nous. Doit-on taire nos désirs sous prétexte que dans deux ans on aura plus difficile à se voir ? N’est-ce pas mieux de vivre intensément aujourd’hui ? Crois-tu un seul instant que je t’aurais demandé des choses qui t’auraient blessé ? Et dis-moi, qu’en pense Morgane?
- Elle me dit exactement la même chose que toi. Elle dit que je devrais accepter de sauter le pas un jour, tant avec Circé qu'avec toi. C'est parmi nous celle qui est la plus libérée sexuellement. Pourtant elle m'a avouée qu'elle serait jalouse de la venue de n'importe quelle autre fille dans ma vie. Elle perçoit Circé comme une exception temporaire. Par contre elle ne voit pas d'un très bon œil la passion que Lorenzo me porte. Bien qu'étant un homme, elle le trouve beaucoup trop féminin à son goût. En plus elle prétend qu'il en veut à ma fleur, et qu'il serait prêt à m'entraîner dans toutes sortes de pratiques bizarres. Je crois qu'elle se trompe, jamais Lorenzo ne me forcerait à quoi que ce soit. Toi elle t'adore. Elle te trouve beau et viril. Depuis que tu m'as protégé de la tentative de viol elle pousse pour qu'on t'accepte dans la communauté du palais. Babbo rêve parfois de son ancienne communauté d'enfants fleurs, avec plein de bambins qui couraient partout dans les jardins supérieurs du palais et de jeunes qui faisaient l'amour à l'ombre des arbres, cachés derrière les murs des terrasses inférieures. Pendant que de jeunes enfants jouaient en haut, de nouveaux enfants se créaient en bas. Moi j'ai un horrible souvenir de la secte où j'ai été élevé autrefois. C'étaient aussi des enfants fleurs. À cause d'eux je n'ai eu ni père ni mère.
- Est-ce pour cela que tu es si triste parfois?
- Oui, je suis triste quand je me souviens de la solitude ma première enfance. Je suis triste à cause de tout ce que Cesare m'a dit à propos des rapts et des factions. Je suis triste pour ces gamins abandonnés et solitaires qui doivent se regrouper en bandes pour éviter d'être enlevés. Je suis triste pour ces deux gamins affectés à ma protection, j'ai vu les poignards qu'ils portent à leur ceinture. De misérables poignards et leur agilité au combat, c'est les seules armes dont ils disposent pour se défendre! Cela me révolte! Et moi qui les ai fait dormir à la porterie! Je ne connais même pas leur nom!

Alors je pleure à chaudes larmes.
- C'est là qu'ils doivent dormir, Lionceau, et tu le sais très bien. La porterie est un bâtiment autrefois occupé par l'ancien corps de garde et par l’armurerie. Ses anciennes fonctions ont été rétablies. C'est là aussi où il y a la salle d'armes, elle a été remise en usage depuis le Grand Déséquilibre. Le métier du corps de garde est de te protéger et de se battre si nécessaire. Tout cela, c’est Cesare qui me l’a expliqué, pas plus tard que hier.
Lionceau, ton empathie c'est vraiment ton talon d'Achille. Pourtant c'était nécessaire que Cesare te mette au courant de tout cela, pour ta propre sécurité. Vas-y, pleure, cela te fera du bien.
- Fabio, des fois je suis terrorisé. S'il te plaît, tu veux bien venir dormir avec moi cette nuit? Ce soir je remonte dans ma chambre, je ne veux plus rester une minute de plus dans cette sinistre infirmerie! On mettra nos shorts de pyjama si tu veux. Morgane me manque tellement, avec elle je me sens protégé. S'il te plaît, je t'en supplie?
- Lionceau! Tu n'as pas besoin de me supplier pour cela! Calme-toi, bien sûr que c'est oui! Eh bien, Cesare t'a foutu une sacrée frousse, ma parole! Il n'y a plus eu d'enlèvements depuis des mois. Ici au palais tu es en totale sécurité. Je crois qu'il s'est vengé d'avoir eu peur à ton sujet, il a vraiment noirci le tableau. Ses seconds sont tout fous depuis tantôt. Lionceau, ils sont heureux, veux-tu bien te mettre cela dans la tête? Et bien sûr tu n'as pas échappé à l'histoire de la mort de l'ami de Cesare?

Je reçois un bisou.
- Non, en effet.
- C'est un fantôme qui le hante depuis ses treize ans; il ne parvient pas à s'en débarrasser. C'est sa faiblesse à lui. Il a grand tort de lier cette histoire au désir qu'il a de te protéger. Lionceau, arrête de prendre tout cela au tragique. J’aimerais tant pouvoir te consoler !

Je ne parviens pas à arrêter de pleurer. Fabio me prend doucement le menton entre ses doigts afin de relever mon visage en larmes vers le sien. Il n’y a que lui qui peut se permettre un tel geste avec moi. Il plante son regard dans le mien et je ne pense plus qu’à une seule chose : à la chaleur et à la douceur infinie de son regard. Sa tendresse me submerge, elle me laisse comme un pantin sans volonté. Désormais il pourra faire de moi ce qu’il voudra ; puisque ma fleur n’est pas en danger je ne résisterai plus… Maintenant je vois plus clair en moi, en nous deux. L'incendie a servi de révélateur.
- Fais-moi un petit sourire maintenant?
- Donne-moi d'abord encore un bisou !
- Lionceau, tu pleures alors qu’il y a tellement de bonnes nouvelles ! Les domaines des Salvati ont été préservés du feu, tu étais en tête du combat. Et puis il est question de mon admission effective dans la communauté du palais, ton père adoptif ne veut plus attendre.
- Comment cela?
- Pendant que tu dormais comme un bienheureux ton père nous a fait raconter notre aventure. Il a un peu blêmi au passage où tu étais entouré par le feu. On a censuré les moments où on s'était éloigné des groupes avec la fille, on sentait bien qu'on n’avait pas le droit d’aborder ces détails.
- Et vous avez eu parfaitement raison.
- Cesare n'avait pas compris, mais moi j'ai de suite deviné ce que tu faisais. Je suis un enfant de la campagne. Je ne veux rien savoir, c'est ton secret et je préfère que tu ne m'en parles pas. Ensuite ton père, très ému, m'a remercié de t'avoir sauvé des flammes. Il m'a dit que désormais, si j'acceptais, je ferais partie de la communauté du palais. Que c'était prévu depuis cet été mais que maintenant il en était vraiment temps : toutes les conditions sont enfin réunies. J'ai d'abord refusé, ne voulant aucune récompense, je lui ai tenu le même discours qu'à toi. Il était encore plus ému. Mais après il m'a fait fléchir en m'affirmant que cela n'avait rien à voir avec une quelconque récompense. Mon acceptation dans la communauté est une conséquence logique et cohérente de mes actes, rien d'autre. Il m'a fait lire les règles de vie du palais, elles datent de l'époque des enfants fleurs et je les ai trouvées absolument superbes! Là des garçons pouvaient s'aimer de façon tout à fait naturelle sans que cela ne pose de problèmes à quiconque. J’ai parfois rêvé d’un monde pareil, où on peut se promener bras-dessus bras-dessous avec un autre garçon et l’embrasser dans des jardins fleuris au son des fontaines, mais j’ignorais que ce monde pouvait réellement exister. Tu sais, pour des garçons comme moi il n’y a pas beaucoup de choix. Soit on reste sages toute sa vie, soit on va dans des milieux étranges, des ghettos horribles où seul le sexe compte et pas l’amour. Il y a une autre condition pour être accepté dans la communauté de la villa: avoir dormi au palais pendant au moins sept jours d'affilée, ce qui est mon cas à partir de ce soir. Ton père t'adore, il prétend que mon intégration dans la communauté serait tout à ton avantage. Il a pris les devants, et a profité du passage du médecin pour me soumettre à un test de santé. Ce matin on a eu les résultats et ma santé est parfaite. Bien sûr il m'a montré vos tests, à toi, à Morgane, à Circé et à Lorenzo. Leur accord est acquis depuis votre dernier conseil de famille. Ton sauvetage dans la cage d'escalier les a touchés. Ton père dit qu'il serait temps maintenant d'achever la résurrection du véritable esprit du palais. Il ne manque plus que notre accord à nous deux.

Au fur et à mesure que Fabio parle, mon visage s'éclaire.
- Fabio, j'en suis tellement heureux! J'espère que tu as accepté, espèce d'idiot?

Fabio rit et m’ébouriffe les cheveux.
- J'attendais ta réaction, mais à la voir c'est oui tout de suite, inconditionnellement! Enfin un beau sourire!

Je me lève, et enjoins Fabio de se rassoir sur le canapé.
- Je peux venir sur tes genoux?
- Bien sûr, tu ne dois même pas me le demander, c'est toi l'idiot.
- Fabio, promets-moi que quoi qu’il se passe on restera amis pour la vie ?
- Je te le promets !

Je m'assieds sur les genoux de Fabio, en lui faisant face. D’abord je me colle à lui, le visage dans son cou. C’est incroyable comme cela me calme d’être dans ses bras. Il me caresse doucement le dos et n’arrête plus de m’embrasser et de me renifler. J’adore, je me laisse faire aussi souple qu’une poupée de chiffon. Fabio sent mon abandon, conséquence de ma reddition une fois les conditions établies. Car ensuite on se regarde longuement, les yeux dans les yeux, et il rayonne de bonheur. Oui, ses yeux plein de tendresse me font fondre, et oui, c’est quelque-chose auquel je ne puis plus résister. C’est alors que je me rends compte que je suis à l'état de faune, et que mon slip se mouille légèrement malgré moi. Je n'y puis rien, j’ai tendance à mouiller dès que je suis excité, mais cette fois j'accepte la situation. La parole n'est plus nécessaire. On est à un carrefour, et je n'hésite plus quant à la route à prendre même si je sais qu'elle risque d’être sans retour possible.

- Alors voilà ma manière de sceller notre accord, et de te prouver ma confiance en nous!

J'approche mon visage du sien, très lentement, pour lui donner la possibilité de reculer le sien. Il ferme les yeux, je le sens prêt à ce que je vais faire. Lui aussi est à l'état de faune. Ma bouche est toute proche de la sienne maintenant. Je sens sa chaleur sur mes lèvres, je sens son souffle, je sens son haleine. Je sais qu'à ce moment exact je vais franchir le point de non-retour. Mais l'incendie m'a ouvert les yeux, j'ai cru que j'allais mourir et je vis. Je désire vivre avec le plus d'intensité possible, tout de suite, maintenant, je veux aimer sans exclusive. J'effleure plusieurs fois ses lèvres des miennes, à peine. C'est un frôlement plutôt qu'un contact. Ses lèvres sont douces comme la peau d’une pêche. C'est la dernière chance qu'il a de reculer. Il me laisse faire. Alors je m'empare de sa bouche et je lui donne un baiser brûlant, je ne peux plus m'arrêter, je force un passage avec ma langue et de suite il la caresse de la sienne, de suite il accepte. On joue longtemps, je crois que c’est le premier baiser sur la bouche de son existence, il faut qu’il en profite. 

Enfin il rit joyeusement:
- Il n'y a pas d’assentiment plus clair, c'est le plus beau jour de ma vie!

Je souris et je lui sors la phrase rituelle:
- Les plus beaux jours de ta vie sont encore à venir, mon second adoré! Laisse-moi juste encore un peu de temps.
- Lionceau, ne te mets aucune pression. Je préférerais qu'on reste sages pendant encore un bon bout de temps. On garde les acquis, j'aime être contre toi, et j'ai adoré tes bisous passionnés. Tu m'en fais quand tu veux. Cela me suffit amplement, laissons le reste venir tout naturellement, lorsque tu le sentiras. Le jour où tu seras vraiment prêt à aller plus loin je serai là, je t'attendrai aussi longtemps que tu voudras. Je comprends tout à fait ton désarroi, ce n'est que cet été que tu as découvert comment certaines choses fonctionnaient!

Ému par la gentillesse et la prévenance de Fabio je lui chuchote dans son oreille : 'je t'aime ! Tu sais, ce n’est pas sûr que tu doives attendre si longtemps que cela…' Puis je me cale confortablement dans ses bras, je me sens trop bien, je n’ai plus envie de bouger ni de parler. Je ferme les yeux. Son nez effleure mon cou, ma nuque, mes aisselles, il s’abreuve de mon odeur. Mais petit à petit je sens que je n’arrête plus de mouiller mon bas-ventre. Il faut interrompre les câlins avant que cela ne devienne trop visible. C’est à regret que je finis par me lever, puis, pris d'un doute, j’interroge Fabio:
- Dis Fabio, tu veux quand-même bien dormir avec moi cette nuit, même si on devait rester sages? Je ne veux pas te troubler inutilement!
- Bien sûr que j'accepte de dormir avec toi, et dans la tenue que tu veux.
- Alors cela sera tout nu!

Fabio se lève et crie: hourraaa! Il exécute une danse comme chaque fois qu'il ressent un bonheur trop intense. Je ris:

- Fabio, ne casse rien! Viens, on va prendre un peu l'air frais, cela nous fera le plus grand bien après toutes ces émotions…


*   *   *

On regarde le paysage depuis la terrasse de marbre. Le panorama est large. L'air est très pur, le ciel est dégagé à part le passage rapide de quelques nuages. Le soleil d'octobre frappe obliquement les façades sud et ouest du palais. Le spectacle devient féerique, en particulier dans la plaine qui s'étend devant nous côté est. La brume du soir compose une carte géographique de rêve. Le versant de la montagne est abrupt, avant de terminer sur une pente boisée plus douce. La plaine en contrebas, par la grâce magique de la conjonction d'un jeu d'ombres avec la mer de brume, a l'aspect d'une étendue liquide où les petits bois et le village figurent des îles au milieu d'un grand lac aux eaux sombres… 

Fabio m’enlace l’épaule. Heureux je murmure :
- C’est beau !
En bas on entend des rires. Cesare joue à chat perché avec ses seconds, de vrais gosses! Un des gamins s'adresse à nous:
- Venez jouer avec nous!
J'aime son regard confiant, j'aime sa familiarité, j'aime son sourire.
- On arrive!

Fabio et moi on redevient gosses à notre tour. Aux seconds je leur demande leur nom, comme on faisait dans la cour de récréation avec les nouveaux venus. Ils s'appellent Mario et Gianni. Cesare et Fabio sont tout fous, j'adore quand ils sont comme cela. Ma tristesse et ma peur partent comme par enchantement. Je retrouve le calme et la sérénité. Une soif de vivre m'envahit, irrésistible. La cloche nous surprend en pleine partie ébouriffante de cache-cache…











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